Épaisse barbichette, favoris, postiches, colliers et petites fourrures sous le nez : deux délicieux ouvrages rendent hommage à la pilosité faciale masculine, qu’elle soit attribut de pouvoir ou simple accessoire.
“Il faudrait faire une histoire du poil en peinture« , écrivait Daniel Arasse dans son petit livre culte On n’y voit rien. Signe politique, social, éthique et religieux, de tous temps et de toutes parts, le poil, l’air de rien, en dit beaucoup sur l’être humain.
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« Snob ou paysan »
Réjouissante concomitance : moustaches et barbes font l’objet de deux délicieux ouvrages sortis le mois dernier. Le premier, Les 30 Moustachu(e)s qui n’ont jamais rien fait de mal, dresse une galerie de portraits, entre la fiche Wikipedia déjantée et le cabinet de curiosités. A l’heure ou la moustache donne l’air, au choix, « snob ou paysan« , Gonzague Dupleix, « Mr. Style » de GQ, fait de cette petite touffe de poils plus ou moins bien taillée le prisme parfait pour raconter le destin d’hommes illustres (mais aussi d’une femme et d’un chat).
« Ne pas raconter l’Histoire mais des histoires »
Se succèdent alors Jean Rochefort (moustache en bobine), Salvador Dali (moustache à l’eau à l’huile), Ned Flanders (moustache du voisin diabolique), Albert Einstein (moustache toute relative), Magnum (moustache à deux vitesses) ou… Grumpy Cat, le tout très joliment illustré par Sidonie Mangin, directrice de la collection Palmarès aux Editions Le Contrepoint. Son ambition : explorer le monde par le petit bout de la lorgnette en « accumulant perles et anecdotes sur le fil d’un sujet (…) ne pas raconter l’Histoire mais des histoires« .
Défi réussi avec la moustache. Car, outre leur aspect purement esthétique, les poils du visage disent beaucoup de celui qui les porte. Prenez Julien, nommé César en Gaule de 355 à 361 par Constance II puis proclamé empereur romain à part entière de 361 à 363. Excédé des railleries des habitants d’Antioche sur sa « bonne grosse barbe épaisse, drue et fournie« , il rédige en février 363 une satire, le Misopogon, autrement dit “l’Ennemi de la barbe”. “Aucune loi n’interdit d’écrire contre soi-même éloges ou blâmes. Or, faire mon éloge, je ne le puis malgré mon vif désir. Me critiquer, au contraire, j’ai à cela milles raisons, à commencer d’abord par mon visage”, écrit-il en introduction.
Une épaisse littérature sur le sujet
Dans La Barbe, La politique sur le fil du rasoir, Xavier Mauduit co-auteur sur France Inter de l’émission Panique au Mangin Palace mais aussi agrégé et docteur en histoire imagine un échange de mail avec l’empereur (misopogon@julienlapostat.com) et retrace, à grand renfort d’anecdotes savoureuses les différentes significations qu’a pu revêtir l’appendice pileux que nos puissants ancêtres arboraient jadis fièrement. Un sujet d’étude très sérieux comme en témoigne l’épaisse littérature sur le sujet ici convoquée. Citons par exemple Barbalogia de Giuseppe Valeriano Vannetti en 1759, Pogonologie ou Histoire philosophique de la Barbe de Jacques-Antoine Dulaure en 1786 ou l’Histoire philosophique, politique et religieuse de la barbe chez les principaux peuples de la terre, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours d’Adrien Philippe en 1845.
A leurs côtés sont convoqués Montaigne, Ibsen, Yourcenar, mais aussi Mahomet, King Camp Gillette, Pierre Dac et Benoît Poelvoorde pour dresser avec érudition et légèreté une histoire de la barbe en politique – seul domaine où elle semble avoir complètement disparu, du moins depuis la retraite de Robert Hue. Pourtant, dompter (ou pas) son système pileux fut très longtemps une variante importante dans le règne d’un souverain. Ainsi, Xavier Mauduit rappelle-t-il avec malice l’accident de François Ier à Romorantin : alors qu’il simule la prise de l’hôtel de Saint-Pol, il reçoit en pleine tête un tison ardent jeté d’une fenêtre. “Pour cacher les cicatrices de brûlure, ou pour compenser sa chevelure détruite, le roi devient barbu. Dès lors, par imitation, les courtisans se couvrent de poils. C’est une règle de base, dans les palais, le poil n’est pas si laid si le souverain est velu.” Il n’y a qu’à voir le célèbre portrait de Jean Clouet, peint vers 1530, déjà à mille lieux de celui de Charles VII peint au siècle précédent par Jean Fouquet et où n’apparaissent ni moustache, ni barbe, ni cheveux (il était alors à la mode d’être imberbe).
Héritière de l’écrasante histoire de l’humanité, tantôt signe de virilité, de sagesse ou au contraire de fougue ou, pire, de fourberie (ceux qui ont quelque chose à cacher) la barbe et sa polysémie multiplie aujourd’hui les occasions de se planter. Adieu donc, les trois barbes comme autant de droites décrites par René Rémond dans Les Droites en France (pour Mauduit : l’homme à favoris est orléaniste à l’instar de Louis-Philippe, le collier de barbe est légitimiste à la Henri IV, la barbichette, elle, impériale)… Nos politiques, encore loin de la parité, vont désormais au plus simple : ils se rasent et, en passant, c’est nous qu’ils assomment.
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