Observé par une femme, le parcours d’une famille d’intellectuels dans l’histoire mouvementée du Maroc moderne. Un roman de Yasmine Chami empreint de nostalgie.
Au centre de ce roman mélancolique, il y a une femme et sa mémoire. Sara, pédopsychiatre à Casablanca, divorcée, vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une grave maladie. Profitant d’un moment d’intimité avec ses deux grands fils, elle leur montre quelques photos de famille.
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Sur certaines, elle est toute petite, entourée de ses frères et ses cousins, ses grands-parents et ses parents encore jeunes et amoureux. De cette situation ténue, Yasmine Chami tire le portrait d’une classe sociale particulière, bourgeoisie éclairée et progressiste, qui sera bousculée par l’histoire.
De la mémoire de Sara surgissent des figures féminines attachantes
Yasmine Chami est une écrivaine marocaine d’expression française, pourtant son mode de narration la rapproche de certaines romancières italiennes comme Cristina Comencini ou Ginevra Bompiani. Le temps qui passe, les illusions perdues, la politique sont des thématiques toujours observées à partir de situations intimistes, de petits détails, comme le souvenir d’un repas de famille, le décor d’une terrasse ensoleillée, quelques phrases volées à l’oubli.
En toile de fond, l’histoire mouvementée du Maroc. A l’enthousiasme de la décolonisation succède l’angoisse face à un Etat devenu policier. Les disques de Joan Baez sont remplacés par les chants patriotiques de la Marche verte, les compromissions gangrènent une classe aisée soucieuse de tenir son rang. Les hommes ne sont pas absents de ce roman mais ce sont les femmes qui le portent, et de la mémoire de Sara surgissent plusieurs figures féminines attachantes.
“Une violence nouvelle est entrée partout”
Yasmine Chami nous décrit avec beaucoup de lucidité cette famille cultivée et humaniste qui se voulait au-dessus de tout, détachée de contingences matérielles jugées sans noblesse. Un monde qu’elle estime disparu. “Une violence nouvelle est entrée partout, avec la puissance devenue presque infinie de l’argent, l’arrogance des nouveaux possédants.”
Dans ce court texte mesuré, les déconvenues sont exprimées sans violence, plutôt dans une sorte de lassitude, l’enchaînement des faits est analysé avec fatalisme, depuis l’arrivée au pouvoir d’Hassan II jusqu’à l’envahissement d’un islam rigoriste, la romancière regrettant l’incompréhension des autres nations et “le vocabulaire stéréotypé des médias occidentaux pour dire la folie d’un monde arabe harassé par des décennies de dictature militaire”.
Mourir est un enchantement de Yasmine Chami (Actes Sud), 112 pages, 13,80 €
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