Dans Le Taureau par les cornes, album pudique sans être austère, le dessinateur renouvelle le genre de l’autobiographie.
Dans un quartier de Rennes, une pelleteuse s’attaque à des bâtiments. Case après case, les travaux de destruction avancent irrémédiablement. Pendant ce temps, la voix off du narrateur, elle, revient sur la manière dont sa famille a dû encaisser les coups au milieu des années 2000 avec, en quelques mois, l’annonce que sa mère souffrait d’Alzheimer et celle que le bébé Emile, tout juste né, était trisomique.
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Déjà, avec D’Algérie, paru en 2007 et judicieusement réédité (avec, en bonus, une postface contemporaine), le Breton Morvandiau avait montré qu’il savait tordre le genre de l’autobiographie pour lui donner une dimension supplémentaire, plus universelle. Un œil sur son arbre généalogique, se souvenant avec précision d’un séjour algérien de 1988, il y questionnait ses origines et exposait comment l’histoire de la colonisation française avait été source de drames intimes – son oncle Jean fait partie des quatre prêtres assassinés par le Groupe islamique armé en 1994 à Tizi Ouzou, en Kabylie.
Des pages frappantes sur la trisomie mal perçue
Dans Le Taureau par les cornes, Morvandiau se livre bien plus. Il ne cache pas le malaise ressenti quand il dut lever la voix pour garder sa place de parking réservée aux “handicapés” ni son ignorance de la nature exacte de la trisomie, ignorance partagée par beaucoup.
Dans des pages très frappantes se succèdent d’ailleurs les réactions – une par case – de voisins, amis, membres de la famille ou généticiens. A la fois essai, autobiographie et discours sur le langage dessiné, cet album carbure aux ellipses et mêle de manière réfléchie anecdotes personnelles ou discours plus politique.
Il saisit aussi par sa pudeur – à sa demande, la mère d’Emile n’y apparaît pas – et l’intelligence graphique mise en œuvre pour provoquer la réflexion. Disciple de Willem, dessinateur au trait toujours juste, Morvandiau convoque des images tirées de notre mémoire collective pour donner corps à son propos, de Freaks de Tod Browning à un tour de chant de Piaf en passant par la fin de Vol au-dessus d’un nid de coucou de Miloš Forman. P
armi les réussites de cet album figurent aussi la manière d’illustrer la chanson de Tom Waits Underground ou les expressions prisées par sa mère transformées en graffitis sur les murs. Radicale et tendre, cette BD se termine dans les pleurs et le deuil, mais aussi la joie.
Le Taureau par les cornes (L’Association), 152 p., 19 €
D’Algérie (Le Monte-en-l’Air), 128 p., 19 €
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