L’auteur des « Essais » est-il le nouveau coach à la mode ? Au cœur d’un best-seller anglais et d’un petit livre d’Antoine Compagnon, Montaigne fait son grand retour en 2013.
Soigner son asthme avec Proust”, “Devenir une reine du sexe grâce à Anaïs Nin”, “Apprendre le maniement du colt avec Burroughs”. On pourrait imaginer une collection de guides pratiques fondée sur la vie et l’oeuvre d’écrivains célèbres. Pour tout avouer, l’idée nous a été soufflée par le livre de l’Anglaise Sarah Bakewell, qui se propose de répondre à une question toute simple – “comment vivre ?” – en s’inspirant des préceptes incarnés et défendus par Montaigne dans ses Essais. Best-seller inattendu en Angleterre et aux Etats-Unis, le Comment vivre ? de Sarah Bakewell se vend aussi très bien en France. Cette somme hyperdocumentée doit autant son succès à son côté “développement personnel” qu’à son érudition.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Chaque titre de chapitre tient en une brève formule qui rappelle les conseils prodigués dans les manuels de vie : “Ne pas s’inquiéter de la mort”, “Faire attention”, “Etre convivial”, “Vivre avec tempérance”… A croire que Montaigne, en fusionnant au XVIe siècle stoïcisme, épicurisme et scepticisme, était un précurseur d’Allen Carr et David Servan-Schreiber, gourous du livre thérapeutique.
On retrouve un peu le même esprit dans L’Eté avec Montaigne d’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et auteur de plusieurs livres sur Montaigne. Ce petit volume rassemble ses chroniques sur France Inter, textes courts comme des invitations à la méditation. “Découper Montaigne et le servir en morceaux” a d’abord semblé un défi risqué à l’éminent spécialiste. Montaigne n’écrivait-il pas que “tout abrégé sur un bon livre est un sot abrégé” ? Et n’a-t-il pas toujours plaidé pour un retour aux auteurs et aux textes originaux ? Mais comme le propre de la pensée “montaignienne” est d’ondoyer et de fluctuer, pourquoi ne pas la contredire ?
Il est amusant de noter que Bakewell et Compagnon retiennent beaucoup de passages identiques : les plus connus, comme la chute de cheval, la description de la librairie, l’amitié avec La Boétie ; ou d’autres, moins familiers, telles les considérations de Montaigne sur le sexe – qu’il avait d’ailleurs de taille modeste, comme on le (re)découvre en lisant Sarah Bakewell. Peut-être que ces choix correspondent à notre époque, chaque génération abordant les Essais avec ses attentes et perspectives propres.
Et il semblerait que les lecteurs d’aujourd’hui y cherchent un vade-mecum existentiel. Doit-on le déplorer ? Montaigne lui-même notait, lucide : “Un suffisant lecteur découvre souvent ès écrits d’autrui des perfections autres que celles que l’auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches.”
Elisabeth Philippe
Comment vivre ? – Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse de Sarah Bakewell (Albin Michel), traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, 496 p., 23,50 €
L’Eté avec Montaigne d’Antoine Compagnon (Equateurs parallèles), 168 pages, 12 €
{"type":"Banniere-Basse"}