[Les poches de l’été] À 24 ans, elle publia ce court roman qui inverse tous les stéréotypes de genre et fit scandale.
À quoi pourrait ressembler le projet de rajeunir “cette vieille chose qu’on appelle l’amour” ? Dans Monsieur Vénus, publié en 1884 alors que son autrice, Rachilde, avait tout juste 24 ans, une bourgeoise tombe sous le charme d’un jeune fleuriste sans le sou, fascinant de beauté. Mais l’héroïne ne souhaite pas devenir sa maîtresse, non. Elle sera son amant. Estimant inventer une nouvelle façon d’aimer, Raoule de Vénérande (le nom, déjà, est ambigu) cultive l’allure efféminée de l’objet de sa flamme, parle de lui au féminin, l’entretient, lui fait porter des robes. Endossant elle-même le rôle de l’homme, elle devient son pygmalion. Un chamboulement des rôles qui crée un sacré trouble dans le genre. Sous la plume de Rachilde, cela donne : “Tu seras mon esclave, Jacques, si l’on peut appeler esclavage l’abandon délicieux que tu me feras de ton corps.”
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Elle parle de lui au féminin, l’entretient, lui fait porter des robes
L’héroïne se fait donc désirante, et même dominatrice. Monsieur Vénus serait-il un brûlot féministe ? Pas vraiment. D’ailleurs Marguerite Eymery, de son vrai nom, se défendra de toute velléité égalitaire dans son texte de 1928, Pourquoi je ne suis pas féministe. Dans cette “idylle monstrueuse”, les deux tourtereaux ont beau se lancer des “je t’aime”, la violence permise par la différence de classe se confond bien vite avec l’amour, jusqu’au dernier stade de l’objectivation. Prenant la place de l’homme, l’héroïne reproduit la domination dans ce qu’elle a de plus cruel. Rien de très neuf, finalement.
“La Reine des décadents”
Bien sûr, le texte sulfureux a fait scandale à sa parution. Mais le scandale, c’est aussi ce qui permet la célébrité… Rachilde le fait initialement publier en Belgique, où la censure est réputée plus laxiste, mais se retrouve tout de même condamnée à deux ans de prison par contumace. Surnommée par la critique de l’époque la “Reine des décadents”, elle est un personnage étonnant, dont toute l’œuvre est traversée par la question de la transgression. Portant le costume masculin (elle a demandé une autorisation de travestissement à la préfecture de police en 1885), Rachilde revendique sur ses cartes de visite le fier qualificatif d’“homme de lettres”. Mariée au directeur de la revue du Mercure de France, cette fille de militaire joue un rôle important dans la vie littéraire de la fin du XIXe siècle.
Une renommée qui, pourtant, ne l’empêchera pas, en 1953, de mourir dans l’indifférence la plus complète.
Monsieur Vénus de Rachilde (Gallimard/ “L’Imaginaire”), 192 p., 11 €. En librairie.
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