Eric Chevillard flingue les conventions de l’autobiographie, et c’est très drôle.
C’est un tourbillon, et on ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Eric Chevillard, plus de trente ans d’écriture et une quarantaine de livres derrière lui, plume du blog L’Autofictif dans lequel il écrit tous les jours, allait forcément dans ce texte autobiographique bousculer un genre littéraire pourtant archi-arpenté. Et, dès le titre, Chevillard s’amuse, comme il l’explique en quatrième de couverture : “Monotobio plutôt que Mon autobio, avec quatre O comme quatre roues bien rondes, car il s’agit de ne pas traîner.”
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Chevillard nous donne à lire des instants isolés par l’écriture
Ne pas traîner, en effet : cette autobiographie du facétieux auteur de Mourir m’enrhume (1987) surprend avant tout par son travail radical sur le temps. Monotobio est un texte qui avance par blocs serrés, paragraphes qui s’entrechoquent plus qu’ils ne se suivent, et ainsi les événements, les lieux et les années se succèdent à toute allure. En juxtaposant sans liaison aucune des instantanés de sa vie, l’auteur fait défiler son existence comme on a l’habitude de le faire avec les photos sur l’écran de nos téléphones portables.
Les premières phrases des paragraphes nous plongent directement au cœur d’un événement en train de se dérouler, car Chevillard nous donne à lire des instants isolés par l’écriture. En outre, il prend soin de ne mentionner aucune date, mais de jalonner son texte de marqueurs temporels, signalant la sortie de son livre Choir (2010) ou du Courir de Jean Echenoz (2008). Ainsi le texte avance-t-il chronologiquement mais par bondissements successifs d’un événement à un autre, qui ne semblent portés par aucune logique, ce qui pourrait être en soi la définition de la vie selon Chevillard.
Mais Monotobio peut également être lu comme une réflexion sur l’écriture autobiographique, l’auteur intervenant sans cesse dans son texte pour en commenter la construction, avec l’humour qu’on lui connaît. Car la drôlerie de cet artiste du nonsense domine constamment ce livre ingénieux, où se glissent parfois quelques instants d’émotion pure et de regrets éternels, le souvenir soudain de la mort d’un proche que le temps a enterré.
Monotobio (Les Editions de Minuit), 176 p., 17 €
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