La jeune Équatorienne signe “Mâchoires”, un surprenant roman gothique qui explore les relations de pouvoir entre filles et révèle les malaises d’une société latino-américaine.
Une lycéenne est séquestrée et battue : sa prof de littérature s’est lassée des humiliations que cette insupportable ado lui faisait subir. Dès les premières pages, une sourde angoisse imprègne le roman de Mónica Ojeda. La jeune autrice équatorienne – elle est née en 1988 –, installée depuis quelques années à Madrid et traduite pour la première fois en français, a inventé un genre romanesque : le gothique andin, tissage d’influences diverses, du cinéma hollywoodien aux contes populaires de son pays natal.
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Entre les scènes où Fernanda, ligotée, imagine les sévices horribles que lui réserve sa prof, la romancière installe des flash-back de formes et de tonalités différentes. Des conversations. Des souvenirs. Une lettre. Un cours de littérature qui dérape. Des histoires que les lycéennes se racontent pour jouer à se faire peur quand elles se retrouvent, après l’école, dans un lieu sinistre et abandonné. Les monologues de Fernanda chez son psychanalyste. La romancière a su avec acuité se glisser dans l’esprit d’ados gavées de creepypastas, ces légendes terrifiantes qui se propagent sur les réseaux sociaux, de films d’horreur et de littérature, car elles sont férues de Lovecraft, Poe et Maupassant.
Explorer le féminin
Surtout, en explorant le féminin, Ojeda semble travailler une matière sauvage, obscure, où les adolescentes sont des “monstres dont on a fait des filles”. Elle sait dire la chair, le sang menstruel, la sueur, le trouble, les scarifications. D’une écriture lancinante, où reviennent inlassablement quelques images traumatiques, Ojeda analyse un système de pouvoir et de soumission, décortiquant les relations perverses que les lycéennes instaurent entre elles ou entre leurs mères et elles, et l’amour-haine que la professeure voue à sa propre mère décédée. Et sans doute le nœud du livre se situe ici, dans ces liens maternels forcément destructeurs que décrit Ojeda.
Au-delà de son aspect psychanalytique, ce texte est aussi une critique radicale de la société équatorienne. Toutes ces ados sont blanches, issues de familles riches, elles évoluent dans un monde où les noir·es et les indien·nes sont réduit·es à l’état de silhouettes sans importance. Le lycée est un établissement privé haut de gamme, implacable, tenu par l’Opus Dei. Aussi, la fureur que ces filles portent en elles semble n’être que le pâle reflet d’une violence généralisée et asphyxiante.
Mónica Ojeda : Mâchoires (Gallimard), traduction de l’espagnol (Équateur) par Alba-Marina Escalón, 320 pages, 21 €.
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