Sœur du plus grand criminel hollandais, Astrid Holleeder livre le témoignage poignant et tragique de l’histoire de sa vie. Un quotidien empli de terreur, de meurtres, mais aussi un peu d’amour, malgré tout. Elle est aujourd’hui poursuivie par la mafia néerlandaise.
Parole contre parole. Frère contre sœur. Dans son livre Judas, vendu à 500 000 exemplaires aux Pays-Bas, Astrid Holleeder témoigne de sa vie peu commune, une plongée dans les eaux troubles et mafieuses de sa famille. Son frère n’est autre que « le Nez« , Willem Holleeder, surnommé de cette façon à cause de son attribut facial proéminent, l’un des plus grands criminels aux Pays-Bas et chef de la pègre néerlandaise. Il est actuellement en procès, inculpé de cinq assassinats. Sa sœur est l’un des témoins principaux durant les audiences. Ce qui vaut à la tête de cette dernière d’être aujourd’hui mise à prix.
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La vie d’Astrid Holleeder s’apparente plus à une longue descente aux abîmes qu’à un fleuve tranquille. Son contexte familial est lourd et suffocant. Dès l’enfance, Astrid, sa sœur Sonja et son frère Gérard doivent subir un père abusif, alcoolique et violent. Terreur incessante, vie sociale inexistante et respect obsessionnel des règles. “Je priais Dieu chaque jour de faire mourir mon père”, confesse Astrid. Seul Wim, son autre frère, parvient à tenir tête à leur géniteur.
En grandissant, Wim emboîte de plus en plus le pas emporté du paternel. En 1983, avec son meilleur ami Cor Van Hout et trois autres, ils enlèvent Freddy Heineken, petit-fils du créateur de la brasserie éponyme, et son chauffeur. Les kidnappeurs au milieu de leur vingtaine obtiendront une rançon de 16 millions d’euros après vingt jours de séquestration. Une grande partie de cet argent n’a jamais été retrouvé et a sans doute permis à Wim de bâtir son empire spécialisé dans la contrebande et l’extorsion. Pour le kidnapping, le frère d’Astrid écope d’une peine de 11 ans de prison.
Conditionnée par la peur de la violence de son frère
Une période difficile à vivre pour la sœur du criminel. “Désormais, nous n’avions plus de prénom, juste un nom. Je ne voulais pas non plus tourner autour du pot et faire comme si j’étais quelqu’un d’autre, pour devoir me justifier plus tard. Franche, je donnais donc toujours mon vrai nom et répondais par l’affirmative quand on me demandait si j’étais ‘famille de’ après quoi, la plupart du temps, on me regardait comme si j’étais atteinte d’une horrible maladie contagieuse.” Une maladie qui commence à ronger son frère, dont la fièvre meurtrière devient difficile à contenir à sa sortie de prison.
En 2003, l’ami d’autrefois de Wim et le dorénavant mari de sa sœur Sonja, Cor Van Hout est assassiné.
“Sonja et moi ne savions pas qui avait tiré sur lui, mais nous connaissions son assassin : notre propre frère, explique Astrid dans son livre. C’était Wim qui caressait l’espoir de le voir mourir. Wim qui avait ordonné le meurtre de Cor.”
D’autres assassinats ont également lieu en cette période. Wim a souvent été soupçonné d’en être le commanditaire, sans toutefois que la police puisse prouver son implication. Les sœurs de Wim prennent conscience des atrocités commises par leur frère, mais pour autant, leurs relations avec Wim “étaient conditionnés par la peur de sa violence. Donc, nous réalisions tous ses désirs”.
Le criminel fétiche des Néerlandais
Quatre ans plus tard, Wim se retrouve une nouvelle fois devant le tribunal. Cette fois-ci, il est accusé de chantages, sévices et menaces à l’encontre d’autrui. Et non de meurtre, au grand dam d’Astrid. Il est condamné à neuf ans de prison. Lors de sa libération, le “Nez” est curieusement devenu le “criminel fétiche” des Néerlandais, comme l’explique avec dépit l’auteure :
“Au cours de sa détention et de son procès, tant de choses étaient parues sur lui dans les médias – livres, articles de journaux, programmes télévisés – qu’il était devenu une célébrité aux Pays-Bas. Une icône, même. Partout, on le reconnaissait et l’apostrophait. Wim se réjouissait de toute cette attention. Tout le monde semblait avoir oublié la raison pour laquelle il était devenu si célèbre.”
Wim est invité sur les plateaux de télévisions, devient chroniqueur pour un hebdomadaire. Via ses interventions médiatiques, ce dernier conforte ses alibis et se disculpe davantage aux yeux de l’opinion publique. “Combien de fois avons nous entendu dire à quel point il était gentil et agréable, alors qu’il nous terrorisait en permanence ? Comme nous n’en parlions pas, cette illusion perdura fatalement auprès du public.”
La culpabilité de témoigner
Durant toutes ces années, Wim garde un contact privilégié avec sa sœur ; sa confidente, son alliée, son repère. Une relation dans laquelle Astrid se sent prisonnière. Prisonnière de la peur mais aussi du devoir fraternel. Chaque personne qui ose souligner que Wim aurait peut-être un lien dans des assassinats, est exécutée, comme Willem Endstra (en 2004) et Kees Houtman (en 2005), des agents immobiliers impliqués dans du blanchiment d’argent qui ont travaillé aux côtés de Wim.
Dans l’esprit de Sonja et d’Astrid commence à germer l’envie de témoigner pour stopper leur frère. Elles hésitent. La justice leur déconseille, pour leur sécurité et celle de leurs enfants. Ce serait suicidaire. “Le soulagement de pouvoir dire la vérité ne pèserait pas lourd dans la balance face à l’angoisse avec laquelle il faudrait vivre par la suite”, estime Astrid en 2011. Elle change d’avis deux ans plus tard et se rend à la police. Les démarches sont en route, dans la panique, la culpabilité, le doute. “Je ne savais pas ce qui était pire : la haine envers lui qui avait commis tous ces crimes ou le dégoût de moi-même qui le livrait à la justice.”
« Un coup de poignard dans le cœur »
Des doutes qui s’envolent légèrement lorsque Wim menace de tuer Sonja et ses enfants. Terrorisée à l’idée de perdre sa sœur, Astrid décide d’enregistrer les conversations qu’elle échange avec son frère. A partir de 2013, elle accumule les enregistrements qui incriminent le gangster, au risque de sa vie. Si son frère l’avait découvert, il n’aurait pas hésité une seconde à ordonner son exécution – jamais il ne se salit lui-même les mains.
En 2015, leur histoire est mise au grand jour dans les médias. Les bandes-son sont publiées. “Ce fut comme si les Pays-Bas poussaient un énorme soupir de soulagement. Tout le monde s’en était douté sans jamais parvenir à mettre le doigt dessus. Willem Holleeder était un homme mauvais, coupable de tous les crimes dont le soupçonnait la justice depuis des années”, explique Astrid. Wim apprit en même temps que le reste du pays la trahison d’Astrid.
“Sa petite sœur, à qui il avait confié sa peur de la perpétuité, s’était chargée de la lui infliger, écrit-elle. Les larmes me viennent toujours aux yeux à l’idée de ce qu’il a dû ressentir à ce moment-là. Un coup de poignard dans le cœur.”
Suite à ces preuves, Willem Holleeder est enfin poursuivi pour l’assassinat de Cor Van Hout.
Envoyé dans une prison de haute sécurité, Wim parvient toujours à garder un pouvoir et un contrôle sur l’extérieur. En 2016, il donne l’ordre d’éliminer ses sœurs. 35 000 euros par tête. “Si je voulais l’éviter, je n’aurais pas dû témoigner. Mais cela me blessait tout de même. Mon propre frère voulait me tuer !” Depuis, Astrid Holleeder vit dans l’anxiété permanente, examine chaque situation afin d’éviter un danger potentiel, porte un gilet pare-balle et vit de planque en planque, en attendant le dénouement du procès qui a débuté le 5 février dernier. « Etre contrainte de te faire enfermer me brise le cœur, mais crois-moi je suis en prison avec toi. En te condamnant à perpétuité, j’hérite moi aussi de cette peine. »
Judas d’Astrid Holleeder, traduit du néerlandais par Brigitte Zwerver-Berret et Yvonne Pétrequin. Éditions du Sous-Sol, 496 pages, 23 euros. Sortie le 15 mars
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