Après Houellebecq, Godard, Gossip, Isabelle Huppert ou les frères Gallagher, voici notre première série consacrée à un Prix Nobel au pedigree depuis longtemps lié à notre ADN. Ecrivain des errances, piéton de Paris et des cafés perdus, Patrick Modiano nous a une nouvelle fois séduits avec Encre sympatique, son dernier roman. Avec lui, comme il a … Continued
Après Houellebecq, Godard, Gossip, Isabelle Huppert ou les frères Gallagher, voici notre première série consacrée à un Prix Nobel au pedigree depuis longtemps lié à notre ADN. Ecrivain des errances, piéton de Paris et des cafés perdus, Patrick Modiano nous a une nouvelle fois séduits avec Encre sympatique, son dernier roman. Avec lui, comme il a su si bien le faire tout au long de son œuvre, nous remontons le temps et le fil des souvenirs.
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Quelle a été votre réaction quand vous avez appris votre prix ?
Je ne m’y attendais pas du tout, donc ça m’a un peu surpris. Cela m’a fait l’effet de me dédoubler, de me dissocier, comme si j’étais quelqu’un d’autre. Il a fallu attendre un peu pour que ces deux parts de moi se raccordent, l’écrivain qui travaille en solitaire d’un côté, et le nobellisé. La veille, j’avais bien lu que des bookmakers pariaient sur mon nom, mais je ne prenais pas cela au sérieux. Je l’ai appris en marchant dans la rue, et quand on vous annonce ça, on ne réalise pas tout de suite qu’il s’agit de soi. Et puis j’avais hâte de savoir pour quelles raisons j’avais été choisi. On est toujours un peu aveugles sur ce qu’on écrit, donc je ne comprenais pas…
L’Académie du Nobel semble vous avoir choisi parce que votre œuvre ferait devoir de mémoire. N’est-ce pas un peu réducteur ?
Oui, c’est vrai que c’est un peu bref. Mais ils ont dit autre chose aussi sur la recherche du temps, les temps qui s’entremêlent. Cela leur était peut-être difficile de résumer tout mon travail en une seule phrase.
Retrouvez toute notre série Patrick Modiano
>> Episode 1 1997, Modiano-Deneuve : un passionnant dialogue qui sublime le cinéma
>> Episode 2 Patrick Modiano en 2007 : “Grand écrivain, c’est bizarre comme concept”
>> Episode 4 “Encre sympathique”, Modiano à la recherche du temps perdu
>> Episode 5 [Vidéo] Interviewer Patrick Modiano, c’est comment ?
Lors de la conférence de presse, vous avez dit que nous vivons des temps en train de changer…
On me posait une question sur la France aujourd’hui, et évidemment c’était difficile d’entrer dans les détails. C’est vrai que nous traversons une période de crise, d’incertitude générale, qui est valable dans toute l’Europe.
Vous qui avez beaucoup écrit sur le Paris de l’Occupation, pensiez-vous à la montée de l’extrême droite ?
Oui, mais c’est la conséquence d’un malaise. Un peu comme une maladie de peau est la conséquence d’un désarroi.
Diriez-vous que l’époque influence votre travail?
Comme j’écris des ouvrages de fiction, je ne peux pas échapper à mon époque. Même si on décide de vivre dans une tour d’ivoire, tout ce qu’on peut faire est forcément traversé par l’air du temps. On n’y échappe pas, on la ressent, comme un sismographe, et même si mes livres n’en rendent pas compte explicitement, le temps dans lequel j’écris mes livres s’y reflète.
“Il y a souvent un épisode, dans l’enfance, qui sert de matrice à l’imaginaire”
Votre dernier roman, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, commence de nos jours, mais plonge vite dans un épisode de votre enfance : quand votre mère vous avait confié, avec votre frère, à une autre femme, dans une maison étrange…
Vous mettez le doigt sur un point sensible. En dehors de l’air du temps, on est quand même rattrapé par son passé, et il y a souvent dans une vie un épisode, dans l’enfance, qui vous marque et qui sert de matrice à l’imaginaire et à la fiction. Même si cet épisode semble anodin, il vous poursuit et vous fait écrire souvent les mêmes textes. Je donne souvent Hitchcock comme exemple : quand il était enfant, son père l’avait envoyé au commissariat avec une lettre pour le commissaire, et celui-ci l’avait enfermé dans une pièce où il plaçait les gens qu’il avait arrêtés. Il y est resté une heure, sans savoir quand il allait en sortir. Et quand le commissaire l’a enfin libéré, il lui a dit qu’il le remettrait là s’il se conduisait mal… Cet épisode est la matrice de ses films hantés par une menace, du suspense.
Toute votre œuvre semble tourner autour de cet épisode, pourtant c’est dans votre dernier roman que vous vous y attaquez le plus directement. Pourquoi ?
J’avais fait une tentative dans Remise de peine (1988)… mais là, c’est vrai que c’est d’une manière plus frontale. Au fur et à mesure qu’on vieillit, la distance temporelle qui nous sépare de l’événement s’agrandit… et j’avais peut-être besoin d’un recul plus important pour pouvoir l’aborder. Je voulais montrer une réticence du personnage principal à se replonger là-dedans. Mais les appels téléphoniques qu’il reçoit, et le dossier qu’on lui remet vont l’y obliger. Il y a aussi l’oubli qui joue un rôle, mais ce n’est qu’une illusion, car les mêmes vieux éléments bizarres qui vous sont arrivés n’en finissent pas de resurgir.
Vous êtes déjà considéré comme l’un des meilleurs écrivains français. Mais ce Nobel vous donne aujourd’hui la stature de très grand écrivain. Cela va changer quelque chose pour vous ? (rires)
Non, rien du tout, car pour moi, c’est toujours la même chose… En revanche pour les ventes, et pour certains pays anglo-saxons réticents aux traductions, ça aura peut-être un impact.
Retrouvez notre joie, le jour où nous avons appris que Modiano avait le Nobel
Un nouveau public va s’intéresser à vos livres. Par lequel lui conseilleriez-vous de commencer ?
J’aurais tendance à privilégier mes livres les plus récents, car les autres sont éloignés de moi. Donc peut-être par l’avant-dernier (L’Herbe des nuits, 2012 – ndlr), et le dernier. Quand j’ai terminé un livre, j’éprouve une insatisfaction qui me replonge dans un autre et c’est comme une fuite en avant… quand je relis mes livres plus anciens, je m’aperçois que je répète des choses qui se ressemblent, parfois des séquences entières, qui reviennent comme un refrain, un ressac …
Plutôt que de les éviter dans un prochain roman, vous tentez de les approfondir ?
C’est une sorte de retouche perpétuelle. J’essaie de tourner autour, comme un photographe qui photographierait toujours la même personne mais en changeant à chaque fois de point de vue, qui s’approcherait puis s’éloignerait. C’est exactement cela : j’essaie toujours de trouver des points de vue différents.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune auteur ?
Aujourd’hui cela me semble plus difficile d’être un jeune écrivain qu’à l’époque où j’ai commencé, la pression et la brutalité sont plus grandes, et il est plus difficile de se tenir à une forme de solitude. Je me demande quels sont les rapports d’un jeune auteur avec les maisons d’édition… Quand j’ai commencé, c’était plus artisanal, nous avions des interlocuteurs à qui nous adresser. Et je crains que pour un jeune, la pression extérieure soit si forte maintenant, qu’il aurait du mal à se tourner davantage vers l’imaginaire que vers un présent plus réaliste. En même temps, c’est idiot, car cette pression peut nourrir son imaginaire.
Vous savez en quoi consistera votre discours pour le Nobel ?
(rires) Non, pas encore… Peut-être, après tout, qu’on n’est pas obligé de faire un discours. Peut-être qu’on peut écrire un texte de fiction…
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