Un des plus célèbres écrivains français vient de disparaître. L’auteur du best-seller pour lycéens, “Vendredi ou la vie sauvage”, laisse une œuvre plus complexe et ambitieuse que ses succès éditoriaux pourraient le laisser penser.
Michel Tournier vient de disparaître le 18 janvier chez lui, à Choisel, à l’âge de 91 ans. Avatar contemporain du “grantécrivain”, Michel Tournier était l’un des auteurs français les plus connus dans le monde et un des plus traduits.
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Le succès populaire étant souvent perçu en France comme inversement proportionnel à la qualité littéraire, il était un peu oublié ces dernières années. D’autant qu’il s’était soigneusement retiré de toute vie publique et médiatique depuis plusieurs décennies. Installé depuis 50 ans dans ce village de la vallée de Chevreuse non loin de Paris, il menait un vie discrète agrémentée de quelques visites journalistiques, et se plaignait de la vieillesse dans laquelle il voyait une “sinistre accumulation de dernières fois”.
Si il est difficile de porter un jugement sur ce que la postérité retiendra de son œuvre, multiple et diverse, on peut insister sur l’ambition de son travail, un peu méconnue du fait que son ouvrage le plus célèbre Vendredi ou la vie sauvage (version réécrite pour les enfants de son premier roman Vendredi ou les limbes du Pacifique) s’est immanquablement retrouvée au programmes de tous les collèges et lycées de France et de Navarre.
Mais Michel Tournier n’est pas seulement un romancier pour lycéens, ses livres sont portés par une ambition affirmée et soutenus par une culture philosophique réelle, en particulier de la pensée germanique, augmentée d’une passion pour les mythes et l’ethnologie.
Né dans une famille d’intellectuels germanistes, Michel Tournier se destinait à l’enseignement de la philosophie et c’est après avoir échoué deux fois à l’agrégation qu’il avait choisi l’écriture, publiant son premier roman Vendredi à l’âge de 42 ans. Il avait étudié la philosophie à Tubingen en Allemagne, où il fut le condisciple de Gilles Deleuze et de Claude Lanzmann, et se flattait de posséder les œuvres complètes de Kant en allemand.
Transmutation métaphysique
Ses principales œuvres sont ainsi portées par des questionnements philosophiques. Il voulait, comme il l’a dit lui-même, effectuer “la transmutation romanesque de la métaphysique”.
Vendredi, réécriture du chef-d’œuvre de Daniel Defoe, est une mise en fiction de ce qu’il avait retenu des théories ethnologiques de Claude Lévi-Strauss, dont il avait suivi l’enseignement au musée de l’Homme et qui l’avait profondément impressionné. En mettant au centre de son récit le personnage secondaire de Vendredi, Tournier voulait illustrer toute la puissance et la subtilité de la “pensée sauvage », chère à son maître, déployée par le jeune Indien recueilli par Robinson.
Le Roi des Aulnes, dont le titre reprend celui d’un poème de Goethe, révèle sa fascination pour le monde germanique et sa littérature (il admirait profondément les romans flamboyants de Gunther Grass). Ce livre qui a reçu le prix Goncourt en 1970 est une évocation complexe et ambiguë de la tragédie allemande, du renversement – de “l’inversion” –, du romantisme germanique en cauchemar nazi, à l’image de son héros, sorte d’ogre de conte qui sauve un enfant juif en le portant sur le dos, tel saint Christophe.
Les Météores s’interroge sur le mythe de Castor et Pollux et de la gémellité et met en scène une évocation solaire de l’homosexualité, une autre constante dans l’œuvre de Tournier.
En 1978, il publie Le Vent Paraclet, une sorte d’autobiographie intellectuelle qui permet mieux comprendre les ramifications d’une œuvre plus complexe que l’on ne croit et que son succès populaire pourrait laisser penser.
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