L’écrivain revient sur la polémique créée par son entretien avec Michel Onfray, les accusations d’Islamophobie à son égard, mais surtout les déboires de sa tentative de film porno. Résultat : un exercice de vengeance fastidieux dénué de toute littérature.
Trop, c’est trop : Michel Houellebecq a vécu l’enfer ces derniers mois. Entendre : il a été attaqué injustement par la presse, taxé d’islamophobie à tort, et surtout, manipulé par un méchant réalisateur de film porno d’art. Quelques mois dans ma vie, son nouveau texte écrit de fin janvier à avril, et publié à la surprise de tous, s’impose comme un long règlement de comptes et une entreprise d’autojustification.
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Les journalistes y sont décrits comme des “porcs” , le réalisateur d’art néérlandais Stefan Ruitenbeek et ses comparses comme des “Cafard”, “Dinde” et “Vipère”, et les juges comme des “petits pois” (référence à un mot de son ami Nicolas Sarkozy à qui il donne raison. No comment.). Ceux qui se demandent pourquoi cet écrivain qui a toujours privilégié la littérature s’embourbe dans une aventure aussi peu littéraire devront attendre la fin de cette interminable logorrhée égotiste, paranoïaque et haineuse, pour en comprendre l’enjeu : “A peu près tout le monde avait tenté de me rassurer au sujet de ce film porno en me disant qu’une information chasse l’autre, qu’il serait vite oublié. A peu près tout le monde se trompait ; ce film porno ne serait jamais oublié. La honte, pour citer de nouveau Kafka, devait me survivre. Plus rien ne serait jamais oublié, et cela je semblais curieusement être seul à le savoir.”
Michel Houellebecq n’écrit même plus à notre adresse, mais à celle des générations futures. Quelques mois est un pur exercice de blanchiment de lui-même par lui-même, afin de sauvegarder sa précieuse postérité. L’écrivain va donc se prêter à une réécriture, une correction, une rectification de ses actions et de ses propos passés – comme si être écrivain ne consistait pas à trouver les mots justes, puis à les assumer -, non pas comme il le prétend en nous livrant enfin la vérité, mais en réécrivant celle-ci à sa manière. Tout ne serait que malentendu, ou abus de sa personne, ou encore dû à la malveillance de certains – ceux qui se seraient permis de manifester le moindre désaccord politique, idéologique et littéraire avec lui. Tel ce “salaud de Plenel”, mais d’autres aussi.
Tout le monde est méchant
Commençons par le commencement : si la majorité de ce texte étrange est consacrée au tournage de ce porno qu’il regrette, et à de longues pages dézinguant le réalisateur et son équipe, le texte s’ouvre sur la polémique générée par son entretien avec Michel Onfray dans Front populaire, la revue souverainiste de celui-ci, en décembre dernier. Plusieurs passages lui avaient valu d’être taxé à juste titre d’islamophobe dans la presse et attaqué en justice par le recteur de la grande mosquée de Paris pour incitation à la haine raciale. Ici, Houellebecq nous jure qu’il n’est pas islamophobe. Il y aurait malentendu. Tout est de sa faute, avoue-t-il humblement, admettant qu’il aurait du relire entretien, ce qu’il n’a pas fait – ce qui nous étonne, Michel Houellebecq demandant à relire ses entretiens avant parution. Et de s’empresser ici de rectifier ses propos en les nuançant, en les édulcorant, bref en les réécrivant longuement afin de les rendre acceptables. Enfin, Houellebecq nous explique que tout n’est pas de sa faute non plus : il aurait tenté alors d’arrêter la diffusion de cet entretien, donc de la revue, ce qu’Onfray aurait refusé. Ce dernier, dès lors, bascule lui aussi dans la catégorie des méchants.
Bref, venons-en au porno. Là encore, Houellebecq avoue humblement que tout est de sa faute – il n’aurait pas du signer ce fichu contrat avec le réalisateur sans le lire – mais tout n’est pas de sa faute non plus – il avait bu et prenait des antidépresseurs en même temps, et puis le réalisateur est à peu près le fils de Belzebuth, si ce n’est Lucifer lui-même. Tout ce que Houellebecq voulait, après tout, c’était d’avoir la possibilité d’un plan à trois. Pourquoi ? On a alors droit à de longues explications sexuelles implacablement, froidement techniques. Hélas, tout s’est mal passé. Le réalisateur a été très méchant, ses amies très méchantes aussi, son avocat hyper méchant.
Car ce qui laisse pantois dans ce texte, en plus de découvrir un égo surdimensionné qui vit le moindre accro dans sa vie comme une injustice d’amplitude cosmique, c’est la perception naïve du monde selon Michel Houellebecq. il y a les gentils et il y a les méchants. Parmi les gentils se trouvent, par exemple, les journalistes encore enclins à l’interviewer, qu’il flatte avec un certain sens de l’opportunisme, dont notre confrère du Monde Jean Birnbaum, qu’il traitait pourtant d’imbécile en 2015 quand celui-ci accusait Soumission d’islamophobie. Les méchants sont bien sûr les autres journalistes – dont je suis – qui ne supportent plus sa connivence avec l’extrême-droite, non pas depuis Soumission, mais depuis son rapprochement avec Valeurs actuelles, et ses propos nauséabonds dans Anéantir.
Position victimaire obscène
Ces journalistes-là, il n’hésite pas à leur prêter des raisons basses et personnelles de l’attaquer, telle la jalousie ou encore la méchanceté, jamais des raisons objectivement politiques, intellectuelles et littéraires. Pourtant, pour certains d’entre nous, il n’était pas question d’être complaisants envers un écrivain qui, en seulement quelques années, sera passé de réactionnaire de droite à populiste d’extrême-droite. Mais Houellebecq adore poser en victime : “Ma situation médiatique en France s’était on l’a vu dégradée : mes ennemis avaient encore gagné en virulence, mes amis m’avaient pour partie trahi, mais surtout il n’était plus question de me donner la parole.” Ah bon.
Victime des médias, victime du réalisateur, c’est entendu. Le problème de cette pose victimaire dans laquelle il se drape à chaque page, c’est qu’elle va le mener trop loin, jusqu’à l’obscénité : “Les féministes ne m’aiment pas. Je ne les aime pas non plus, je considère qu’elles ont porté tort aux relations entre les êtres, et que les féministes contemporaines sont quarante-sept fois pires que leurs aînées. Nos exécrables relations devraient m’inciter à la prudence, pourtant, quoique anticipant leurs hurlements, je ne peux m’empêcher de l’écrire : à l’idée que ces images puissent être diffusées contre mon gré, je ressentais, pour la première fois, quelque chose qui me paraissait s’apparenter avec ce que décrivent les femmes victimes de viol. D’abord une douloureuse dépossession de son propre corps, une sourde hostilité à son égard, un désir de le punir. (…) Sur le plan mental j’étais traversé par des vagues de rage impuissante, mais parfois aussi je me recroquevillais, transpercé par la honte.” Or, nul besoin d’être féministe pour comprendre que si honte il y a, c’est moins d’avoir tourner un porno – ça, tout le monde s’en fiche -, que de poser en « femme violée » alors qu’il existe de véritables victimes de violences et de crimes sexuels, alors que toutes les heures en France, neuf femmes subissent un viol ou une tentative de viol, alors qu’en Ukraine des centaines de femmes se font violer tous les jours.
Pages gonflées d’orgueil blessé
Quelques pages plus loin, une autre perle. Car s’il tente de faire la paix avec les musulmans, il n’en est pas de même avec ceux qui n’ont pas de voix ni ne peuvent porter plainte : “Je persistais à voir une faute dans l’accueil inconditionnel des migrants. Obliger des populations entières à s’assimiler des arrivages qu’elles rejetaient avec une fureur croissante me faisait vaguement penser au gavage des oies, me semblait à moyen terme impossible et même suicidaire, on ne peut pas éternellement gouverner un peuple à l’encontre de sa volonté, même Machiavel ne m’aurait pas contredit. Il est certes préférable au Prince de se faire craindre, mais la crainte a ses limites lorsque le désespoir s’approfondit.”
Ecrira-t-il un prochain livre pour rectifier certains des passages de celui-ci ? Avouons qu’on n’aura plus la patience de le lire. Ces pages gonflées d’orgueil blessé, ce refus d’assumer ses choix en rejetant le blâme sur autrui, ses goûts sexuels longuement décrits, ses fastidieux démêlés avec la justice, son populisme finissent par lasser. Mais le pire reste encore sa vision de l’être humain. “Je ne crois pas aux idées. Je crois aux gens”, écrit Houellebecq. Mais qu’est-ce qu’un être sans ses idées, qui ne serait responsable ni de ses actes, ni de ses mots ? Un enfant ?
Michel Houellebecq : Quelques mois dans ma vie. Octobre 2022 – mars 2023 (Flammarion). 112 p., 12,80 euros. En librairie le 24 mai.
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