Michael Chabon rend hommage au roman d’aventures classique tout en en explosant les codes.Très drôle.
Après avoir revisité le detective novel dans La Solution finale, Michael Chabon s’attaque dans cette courte histoire au roman d’aventures classique de la fin du XIXe siècle. Les Princes vagabonds relate les innombrables péripéties de deux compères juifs, un Franc et un Abyssinien, en Khazarie au Xe siècle. Mercenaires, vivant de petits larcins et d’escroqueries, ils vont se démener pour remettre sur le trône la famille d’un jeune héritier dépossédé.
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Comme ses modèles, Les Princes vagabonds a d’abord été publié en feuilleton, dans le New York Times Magazine. Tels les livres de prix offerts naguère aux élèves méritants ou les romans de Jules Verne publiés par Jules Hetzel, il est paré d’une couverture décorée et rythmé par des illustrations aux légendes aussi lapidaires qu’intrigantes, poussant l’effet “à l’ancienne” jusque dans les moindres détails.
Alors qu’il reconnaît qu’il est aujourd’hui “incongru d’écrire encore des histoires de cape et d’épée”, Michael Chabon use néanmoins de son talent de romancier pour dépoussiérer le genre et rendre hommage aux Henry Rider Haggard et autres Alexandre Dumas de son enfance. Les Princes vagabonds est d’ailleurs dédicacé à Michael Moorcock, auteur de la série d’heroic fantasy Le Cycle d’Elric – le ton est donné d’emblée.
Péripéties rocambolesques, contrées lointaines, animaux exotiques, période historique méconnue, peuplade oubliée (les Khazars), détails pittoresques, travestissement, amitié tumultueuse entre deux larrons qui n’en finissent pas de se taper dessus mais qui se rassemblent face à des ennemis sans scrupules… Michael Chabon n’oublie aucun ingrédient, aucune ficelle, aucun truc du roman d’aventures.
Avec ses rebondissements incessants et son allure trépidante, ce récit comme on n’en fait plus est cependant plus fin qu’il n’y paraît. Michael Chabon imagine certes une intrigue haute en couleur mais il distille aussi, à la dérobée, quelques réflexions sérieuses. Les embuscades, les chausse-trapes et les coups fourrés dissimulent mal de sombres calculs politiques au parfum très contemporain et, sous la légèreté de l’intrigue, l’auteur s’attache à montrer combien l’histoire juive est une longue suite d’aventures.
Surtout, Chabon s’amuse à tordre le cou aux clichés stylistiques ou narratifs du récit de genre. Ici, les descriptions fastidieuses et les comparaisons incongrues tournent court. Les héros, pas toujours braves, sont en proie à la mélancolie et au doute. Le vocabulaire, précis, désuet, voire abscons, est parsemé d’expressions et de références actuelles (Harry Potter !), et d’insultes évocatrices.
Avec son air de ne pas y toucher, il utilise les conventions pour mieux les pulvériser, et avec beaucoup d’humour s’amuse à détourner les codes, au point qu’on ne parvient pas toujours à distinguer l’hommage du second degré. Michael Chabon s’est offert ici une récréation qui fait le même effet qu’une bonne vieille aventure de Tarzan, trépidante et hilarante de ringardise : elle donne au lecteur de quoi rire et enflammer son imagination.
Les Princes vagabonds (Robert Laffont), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Delord-Philippe, 204 pages, 18€
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