Avec la mort du dessinateur français, créateur avec Pierre Christin de “Valérian et Laureline”, la science-fiction mondiale a perdu l’un de ses phares.
“Le grand risque, c’est que notre lectorat s’éteigne tout doucement et que les mômes d’aujourd’hui ne s’intéressent plus à la bande dessinée. Peut-être qu’avec le film, il y aura un brassage et la redécouverte de Valérian et Laureline ?”, espérait Jean-Claude Mézières, interrogé pour Les Inrocks en 2017 avec son compère Pierre Christin.
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Alors que sortait sur les écrans le décevant Valérian et la Cité des mille planètes de Luc Besson, le dessinateur français doutait de la postérité de la BD, “une chose tellement artisanale”, face aux blockbusters en images de synthèse. L’émotion immense, soulevée par sa disparition survenue dans la nuit du 22 au 23 janvier 2022, lui aurait prouvé le contraire. On se souviendra de Mézières comme l’un de ces artistes visionnaires qui aura contribué à nourrir l’imaginaire mondial. George Lucas, qui lui a emprunté plusieurs idées pour Star Wars sans jamais le citer, va-t-il enfin lui rendre hommage ?
Le dessin dans la peau
Né à Paris en 1938 à Paris, Jean-Claude Mézières rencontre Christin en 1944 dans la cave où leurs familles respectives se réfugient pendant les alertes aériennes. Sa vocation, il ne l’attend pas longtemps : après avoir eu dans les mains les revues Tintin ou Spirou, il a le dessin dans la peau. Admis aux arts appliqués en 1954, il s’y ennuie – il est inscrit dans la section “tissus et papiers peints” – mais devient ami avec Jean Giraud (futur Moebius), avec qui il partage une passion aussi ardente pour l’Amérique et les westerns.
Après des premières publications (un conte de Noël dans Spirou) et trois années consacrées à la publicité, il réalise son rêve et devient cow-boy pour de vrai à l’été 1965… enfin, plutôt palefrenier. Il retrouve vite Christin qui enseigne à l’université de Salt Lake City. Il rencontre par la même occasion une étudiante, Linda, qui deviendra sa femme. Avec Christin, il conçoit une première histoire courte de BD pour l’hebdomadaire Pilote. “Ma petite révolution personnelle, je venais de la faire en partant notamment aux États-Unis”, racontera Mézières au sujet des événements de mai 1968.
La naissance de Valérian et Laureline
Six mois auparavant, Christin et lui ont publié dans Pilote une autre histoire, de 30 pages celle-ci, qui ne passe pas inaperçue dans l’univers de la BD franco-belge : Valérian et les Mauvais Rêves. Alors que le héros éponyme, un agent spatio-temporel, remonte jusqu’au Moyen Âge, surgit sous le trait de Mézières un personnage féminin appelé à durer, Laureline. “Elle s’est imposée telle quelle, se rappellera Mézières, et d’autant plus facilement qu’il n’y avait pas d’autres nanas dans la BD. Pierre et moi, on aimait bien les romans de science-fiction et il n’y en avait pas dans Pilote. On s’est dit : ‘La science-fiction est mal vue, la bande dessinée aussi, donc faisons une bd de SF !‘.”
À partir de 1971, le dessinateur met de côté ses occupations alimentaires, notamment la direction artistique d’une revue promotionnelle, pour se consacrer à Valérian et Laureline, dont le premier album La Cité des eaux mouvantes est publié en 1970 aux éditions Dargaud. À noter que c’est sa sœur Évelyne Tranlé qui réalise les couleurs. Les volumes suivants mêlent de manière harmonieuse le sous-texte politique de Christin et la maestria graphique de Mézières, dont le talent monte en puissance jusqu’à toucher au sublime (le diptyque Métro Châtelet direction Cassiopée et Brooklyn station terminus cosmos de 1980-1981).
Sans se priver de projets parallèles (des illustrations, une histoire mémorable en solo pour Métal Hurlant), le dessinateur, récompensé en 1984 par un Grand Prix au festival d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre, se consacre à sa série phare. Sauf en février 1992 où, avec d’autres collègues tels que Jean Giraud, il intègre un atelier à la demande du réalisateur Luc Besson pour fournir de manière libre un flot d’images inspirantes. Dans plusieurs d’entre elles, figurent des taxis volants, une idée qu’a eue Christin pour l’album de Valérian et Laureline, Les Cercles de pouvoir (1994). Trois ans plus tard, sort sur les écrans Le Cinquième Élément de Luc Besson où le protagoniste incarné par Bruce Willis conduit le même genre d’engin…
Salué comme un maître par des auteurs de la nouvelle génération tels que Blutch ou Christophe Blain, Mézières avait, lors de la dernière décennie, revisité avec Christin des moments-phares de sa série Valérian et Laureline (officiellement close en 2010 avec L’Ouvre-temps) avec L’avenir est avancé. Son dernier livre restera l’émouvant L’Art de Mézières, rempli de raretés – comme un autoportrait ou même une photo de lui à 7 ans récompensé pour une sculpture de sable. Dans le dossier de presse, il avait prévenu : “On fait le ménage et on s’en va. À 83 ans, il vaut mieux fermer la porte et se retirer sans trop faire de bruit.” Hélas, il ne mentait pas.
À lire : L’Art de Mézières, textes de Christophe Quillien (Dargaud), 39 €, 240 p.
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