Jérôme Garcin signe un beau récit pour rendre hommage à ses disparu·es, dans la veine de “La Chute de cheval” et d’“Olivier”. Bouleversant.
“J’avance, une lampe torche à la main, à pas comptés, dans le labyrinthe des miens”. Depuis vingt-cinq ans, Jérôme Garcin est l’auteur chez Gallimard d’une autobiographie singulière, constituée de récits souvent dédiés à une personnalité de son panthéon familial : La Chute de cheval (1998) à propos de son père, Le Syndrome de Garcin (2018) sur son grand-père médecin, et surtout le très beau Olivier (2011) où il évoquait la perte de son frère jumeau quand il avait six ans. Il a ainsi élaboré un travail littéraire où se répondent textes autobiographiques et non-autobiographiques, comme L’Écuyer mirobolant (2010) ou Bleus horizons (2013), chacun paraissant éclairer les autres dans un minutieux jeu de miroirs.
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Ici, le critique littéraire de L’Obs et producteur du Masque et la plume évoque les disparitions récentes de sa mère et, six mois plus tard, de son frère Laurent. Le livre est d’abord un portrait ému de deux personnages qui étaient apparus dans son travail sans avoir encore été mis au premier plan. Il évoque avec pudeur sa mère, restauratrice de tableaux et passionnée d’art italien, amie proche de Michaël Lonsdale. Une femme pétrie d’une foi chrétienne dans laquelle elle puisait semble-t-il sa force, et dont l’auteur aujourd’hui se remémore l’inébranlable vitalité. Ici, Garcin aborde un aspect très particulier de l’atmosphère dans laquelle il a grandi, marquée par l’omniprésence de la religion catholique.
Transmission
À travers le portrait de Laurent, l’auteur se dévoile un peu plus, comme si avec cette mort quelque chose cédait. Il révèle que les difficultés longtemps inexpliquées de ce frère différent étaient causées par le syndrome de l’x fragile, anomalie génétique héréditaire identifiée seulement dans les années 1990. L’auteur a découvert récemment que sa famille en était frappée, qu’il en était lui-même porteur et qu’il l’a transmise à sa fille et sa petite fille. “J’ai soudain l’impression de forcer et d’entrebâiller, au sous-sol d’une très ancienne demeure familiale, où j’ai ma part d’héritage, une porte interdite et vermoulue derrière laquelle dorment, d’un sommeil agité, des secrets bien gardés, des dommages informulés, des souffrances inexpliquées”, écrit Garcin. Si l’auteur s’est toujours interrogé sur ce qui lui avait été transmis par les générations précédentes, il explore aussi dans ce nouveau livre ce que l’on transmet soi-même à ses descendant·es, et confie le sentiment de culpabilité d’un père qui sans le savoir a légué à sa fille un héritage néfaste.
Le texte trouve sa force dans sa brièveté, récit dense pour dire la douleur sans circonvolutions ni effets de style, où Garcin confie ce que signifie grandir dans une famille marquée par l’interdiction de s’épancher. Un héritage dont il s’est défait en se mettant à écrire.
Mes Fragiles de Jérôme Garcin (Gallimard), 112 p., 14 €. En librairie le 5 janvier
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