À quoi un chien sert-il dans la fiction ? Avec un récit dédié à son toutou, le Japonais Akira Mizubayashi prouve que le quadrupède n’est pas seulement le meilleur ami de l’homme, mais peut devenir un objet de culte. Surréaliste ?
Dans un récit paru en 1986, L’Amour des commencements, J.-B. Pontalis évoquait le lien très fort qui l’unissait à son chien, Oreste. Même après la mort de celui-ci, son maître éploré continuait de lui parler en rêve. Monologue auquel son ex-compagnon poilu avait coutume de répondre : « Je ne te crois pas. »
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On mesure bien, au travers de cette savoureuse anecdote, magnifique cas de déformation professionnelle, pourquoi le psychanalyste récemment disparu aura été sensible au récit d’Akira Mizubayashi. Publié dans sa belle collection créée en 1989, L’un et l’autre, ce texte surprenant restitue avec force la vie d’une chienne prénommée Mélodie, au Japon.
Plus qu’un fidèle compagnon
De Jack London à John Fante – de Croc-Blanc, qui a secoué de larmes des générations entières d’enfants, à Mon chien stupide, qui en a fait pleurer de rire d’autres -, le héros canin a depuis toujours marqué son territoire dans la fiction. Sorte de Sancho Panza à poils, il occupe le statut de témoin et de confident sans nuire à la solitude de l’homme ; il est un ingénieux compagnon de jeu et de galère, un baromètre de l’âme. Si le chien incarne une figure si populaire, à travers BD et roman, c’est aussi qu’en lui perdure ce mythe de l’innocence qui manque cruellement à son maître.
Ici, la nouveauté tient à la nature du texte. Mélodie ne procède pas d’une héroïsation canine telle que la fiction la décline depuis toujours. Sous-titré « Chronique d’une passion », le récit de Mizubayashi témoigne d’un attachement exceptionnel pour son toutou. Mélodie est l’hagiographie d’un chien, dans le genre si bouleversant du tombeau littéraire : deux cent cinquante pages retraçant le glorieux destin d’un golden retriever femelle, du jeune chiot extrait de la portée à son trépas le 2 décembre 2009.
« Elle était ma vraie fille, une fille incarnée dans une chienne »
L’auteur japonais ouvre très habilement son récit par l’agonie de Mélodie. La mort de l’animal est identifiée à un choc métaphysique et érigée en expérience poétique. Mizubayashi revient sur cette vie brève, à travers de courts chapitres aux titres à la limite du comique : « Premier repas », « Chagrin de la première nuit », « Promenades », « Les Derniers Jours ». Au fil du texte, elle est « une enfant », « une demoiselle fofolle » arborant « le corps d’une athlète resplendissante ».
On hallucine ? Un passage frôle ainsi le délire zoophile, mixé au film fantastique : « Elle était comme un enfant sorti d’un acte d’amour, des ébats amoureux brûlants dont nous aurions été les acteurs, ma femme et moi, désirant la venue d’un enfant au monde. Elle était ma vraie fille, une fille incarnée dans une chienne que, dans une histoire fabuleuse d’une civilisation ignorée, j’aurais eue, transformé en chien, d’un coït pratiqué avec ma femme également transformée en chienne. »
Ode canine
On l’aura compris, Mélodie se situe à mille lieues d’un sentimentalisme à la 30 millions d’amis. L’auteur contourne habilement discours scientifique et étude psychologique, même si des fragments intercalés traitent du passif philosophique du meilleur ami de l’homme, dans les oeuvres de Montaigne ou de Rousseau. Tout le récit converge vers le scandale d’une mort annoncée, quand bien même fût-elle celle d’une « fusée de chair blonde », entièrement concentré dans ce cri d’amour hors norme.
Emily Barnett
Mélodie – Chronique d’une passion (Gallimard), écrit en français, 280 pages, 19,50 €
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