Un SDF squatte la hall d’un immeuble et pourrit la vie de ses habitants. Avec ce « Vie mode d’emploi » par temps de crise, Mathieu Lindon épingle férocement nos petites arrangements avec la misère.
Est-ce le froid ? A moins que ce ne soit l’alcool ? L’homme qui a élu domicile dans le hall tremble de tous ses membres. Il dit s’appeler Martin. Il est SDF et squatte l’entrée de l’immeuble depuis des mois, mettant les nerfs des habitants à rude épreuve. Affalé sur le sol, ses hardes en guise de couche de fortune, il passe son temps à culpabiliser ceux qui franchissent le seuil du n° 11, à leur pourrir la vie avec ses prophéties catastrophistes, ses remarques salaces, son tapage nocturne et ses ébats exhibitionnistes avec Martine, sa copine. Il inspire davantage la terreur que la pitié, avec sa façon de rappeler en permanence que n’importe qui pourrait se retrouver à sa place, « du jour au lendemain » : « Transmettre l’inquiétude, c’est le fonds de commerce de Martin et il a beau être ce qu’il est, un déchu, il faut y prendre garde, ne pas le provoquer car, perdu pour perdu, qui sait jusqu’où il irait pour bousiller le confort des autres ? »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Après deux textes très personnels, Ce qu’aimer veut dire et Une vie pornographique, l’écrivain et critique Mathieu Lindon renoue avec la satire sociale, exercice qu’il maîtrise à la perfection comme il l’avait déjà prouvé dans Le Procès de Jean-Marie Le Pen ou Lâcheté d’Air France. Avec Les hommes tremblent, version contemporaine et noire de La Vie mode d’emploi de Georges Perec (où il était également question de la vie d’un immeuble situé au n° 1), Lindon met cruellement à nu notre mauvaise conscience et nos petits arrangements mesquins avec la misère ; il débusque sans états d’âme et dans les moindres détails la propension au repli et la tentation de l’indifférence plus ou moins polie face à l’exclusion. Cet inventaire des bassesses du quotidien – du chacun pour soi au racisme ordinaire – passe aussi par la voix d’un narrateur omniscient et cynique qui se fait l’écho de tous les préjugés qui traversent la société : ceux à l’égard des sansabri, mais aussi des jeunes, des homosexuels, des handicapés, des Noirs, des Roumains.
L’immeuble où s’est installé » Martin le maudit », c’est la France en modèle réduit. Il y a Léa, la jeune aide-soignante célibataire à l’idéalisme égoïste, madame Huris, la responsable du syndic qu’on imagine bien voter Bleu Marine, monsieur Benkhrief qui vient de perdre son emploi, le jeune couple avec enfant. Tous, à l’exception de Cyrille, l’ado révolté et puceau, s’inquiètent plus de la perte de valeur de leur logement que de la situation de Martin. Certains envisagent de le déplacer dans le local poubelles afin, au moins, de ne plus le voir. Pour autant, le roman ne tombe jamais dans le manichéisme facile et édifiant. Veule, inquiétant, Martin ne sort pas plus grandi de ce plan en coupe dévastateur. Avec cette galerie de personnages, Mathieu Lindon nous tend un miroir peu flatteur dans lequel se reflètent nos petites lâchetés et la somme de nos résignations, celles d’hommes et de femmes qui tremblent, effrayés par la violence du monde. Le portrait brut et parfois effroyablement drôle d’une humanité en crise.
Les hommes tremblent, de Mathieu Lindon, éd. P.O.L, 176 p., 14,90 €
{"type":"Banniere-Basse"}