Après avoir suivi de près la campagne présidentielle de François Hollande, le dessinateur Mathieu Sapin est parvenu à s’inviter à l’Elysée. Avec “Le Château” (en hommage à Kafka), il nous entraîne dans les secrets du palais présidentiel là où la réalité est souvent plus surprenante que la fiction.
Dès la sortie de ton album sur la campagne, tu as eu l’envie d’accompagner Hollande à l’Elysée ?
Mathieu Sapin – Je pensais que je n’étais pas mécaniquement obligé de continuer à le suivre. Mais une partie de moi se demandait : “Est-ce que j’ai tiré le fil jusqu’au bout ? Est-ce que je ne passe pas à côté de quelque chose ?” Quand il y a eu la passation de pouvoir entre Sarko et Hollande, j’ai demandé si je pouvais y assister. Et on m’a répondu non. Ça m’a énervé, je me suis demandé si les compteurs étaient remis à zéro. C’est peut-être ce qui m’a incité à essayer de gratter, de provoquer.
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Après le premier livre, tu pensais que ça serait plus facile pour toi ?
Oui. Comme l’équipe de campagne s’est retrouvée en nombre dans celle du président, j’avais déjà les contacts, je tutoyais certaines personnes… Mais le temps passait et il ne se passait rien. Les gens ne savaient pas quoi faire de mon projet. Ce n’était pas une mauvaise idée mais peut-être pas non plus une bonne. C’est pour ça qu’il existe vraiment un lien avec Le Château de Kafka : à un moment donné, ce que tu as en face de toi est abstrait, tu cherches le rationnel. Tu ne sais pas si la note positive qui se balade va atterrir sur le bon bureau, tu guettes des signes qui n’ont parfois aucune importance.
Au final, c’est Hollande lui-même que tu as convaincu.
Des journalistes m’ont dit que si je voulais vraiment le feu vert, il fallait que je le demande au “maître du château”. Je me suis donc procuré son “06”. Hollande communique beaucoup par textos et ça s’est vérifié. Je n’ai pas eu de réponse à mon premier message mais je suis assez pugnace. J’ai retenté ma chance le jour anniversaire du premier tour de 2012. Parce que, pour moi, c’est le moment où son élection s’est décidée et puis j’avais eu l’opportunité d’être dans son bureau au moment des résultats, j’avais participé à l’événement. Et là il m’a répondu : “Venez me voir.”
Au-delà de l’obtention du feu vert, en quoi l’entrevue a-t-elle été décisive ?
En amont, j’avais bricolé une argumentation, je voulais me concentrer sur l’Elysée, son fonctionnement, et éviter les polémiques. Et lui, ce qu’il a tout de suite pointé, c’est l’action politique. Après, c’est évident, tu ne peux pas parler du lieu en évitant l’actualité. Mais une des conclusions du livre, c’est que le lieu gagne toujours. A part certaines personnes qui étaient là à l’époque de Pompidou, on n’y fait pas de vieux os. Le lieu reste et les hommes, eux, sont usés. Entre le début et la fin de mon livre, qui court sur un an, les deux tiers de la galerie des personnages sont partis.
Comme le conseiller en communication Christian Gravel que tu connaissais bien. A ce moment, tu t’es senti en danger ?
Bien sûr. C’est à la fois la force et la fragilité de ma position. J’avais le OK du président, mais rien d’officiel, aucun papier. Ça pouvait s’arrêter du jour au lendemain et pendant assez longtemps j’ai préféré ne pas parler de mes visites à l’Elysée. Effectivement, le départ de Christian Gravel m’a beaucoup perturbé, j’avais construit avec lui une relation de confiance. Le jour où il part, je me dis que c’est mort. Quand j’ai au téléphone la secrétaire du nouveau conseiller, je lui explique mon bizness et elle me dit de faire une lettre. Ha non, ça ne va pas recommencer ! Comme je devais passer à l’Elysée pour déposer mon passeport en vue d’un déplacement officiel, je suis directement allé voir cette secrétaire. Là, c’est principe de la VIP Room : vu que je suis là, elle se rend compte qu’elle n’a pas affaire à un type qui la baratine.
Tu n’as pas de carte de presse ?
Non. J’ai cru que ça serait un handicap mais, à l’arrivée, je réalise que ça m’a obligé à trouver des astuces, ça m’a rendu service. Quand tu es journaliste, tu es étiqueté et il y a des lignes que tu ne peux pas franchir. Moi, j’évolue entre les lignes, ce qui est très agréable. Je suis souvent allé à l’Elysée pour rien, si ce n’est pour que l’on s’habitue à moi. C’était très important que je me fonde dans le décor mais aussi que je désacralise le lieu. Ça m’a fait plaisir le jour où la sommelière de l’Elysée me croise : “Hé bien, ça fait longtemps ? Tu travailles dans quel service, au fait ?” Là, tu sais que c’est gagné !
Le Château ne manque pas de rythme…
Il y a une espèce de dynamique propre aux séries. Tu as des personnages qui disparaissent, des rebondissements, des nouvelles têtes. J’aime beaucoup The West Wing et House of Cards mais je pense la première plus réaliste. Avec la deuxième, on est vraiment dans Shakespeare, les personnages sont poussés à l’extrême, on bascule dans la criminalité… Je n’ai pas assisté à ça ! Ce que je trouve génial, c’est que si j’avais fait une fiction, je n’aurais jamais pu imaginer autant de personnages. La réalité m’a proposé une galerie d’une richesse sans comparaison. Le mec qui, le 7 janvier, est à l’Elysée, dans la salle d’attente du conseiller en com’ et ignore tout des attentats, si tu le mets dans une histoire, on va trouver ça gros. Comme, par ailleurs, j’écris des fictions, cette matière-là, je peux la malaxer et la réutiliser. Ainsi, je vais réaliser un long métrage, une comédie autour d’un novice en politique qui se fait dépuceler par une cougar.
Les attentats de janvier dernier t’ont apporté un dramatique épilogue.
Quand c’est arrivé, j’avais fini d’écrire Le Château, j’étais en train de dessiner les pages. Soit je baissais les bras et je restais chez moi hébété, soit je me mettais en selle. J’ai eu le réflexe d’aller à l’Elysée, sans trop savoir quoi y faire. J’avais peur du voyeurisme mais ça me paraissait important d’y être et de raconter. Une journaliste m’avait avait dit : “Ce n’est pas l’élection qui fait le président mais la confrontation à l’événement.” Le dimanche de la manif, après avoir hésité, je décide de retourner à l’Elysée. Et je me retrouve dans la salle des fêtes, seul avec tous les chefs d’état, Merkel, Netanyahou… un moment dingue.
Depuis que tu as fini le livre, tu es retourné à l’Elysée ?
J’y suis allé juste pour le plaisir il y a quelques mois : Schwarzenegger venait rencontrer Hollande. Je continue de recevoir le programme. Ils ne savent pas quoi faire de moi mais ils sont très bienveillants, très cool. Ça durera ce que ça durera.
Le Château, un an dans les coulisses de l’Elysée (éditions Dargaud), 120 pages
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