C’est chez Michel Foucault que Mathieu Lindon rencontra Hervé Guibert en 1978. Leur amitié durera jusqu’à la mort en 1991 de l’auteur d’A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Trente ans plus tard, Mathieu Lindon lui consacre un texte magnifique, Hervelino, entre Rome et Paris, la complicité et l’écriture, la joie et la maladie.
“Il y a pour moi dans Hervelino quelque chose d’affectueux, une façon de le prendre dans mes bras où je l’ai si rarement pris”, écrit Mathieu Lindon à propos du surnom italianisant qu’il donne à son ami Hervé, qui deviendra très vite “Guibert” pour le grand public, l’écrivain d’Eros et Thanatos, celui qui dit “je” et n’a pas peur d’écrire l’intimité vraie de la vie quand celle-ci est déjà mêlée à la mort, qui filmera son corps mutant sous le joug du sida.
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Comment écrire sur celui qui s’est si bien écrit, d’A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) à L’Homme au chapeau rouge (1992), qui s’est si bien photographié, filmé ? Le titre donne la réponse : Hervelino, c’est un sésame hyper-singulier, comme un code, ouvrant sur une intimité à deux seuls partagée, offerte aujourd’hui avec une générosité teintée de mélancolie, dans un geste d’affection envers nous, ses lecteurs et lectrices, comme il partageait il y a dix ans un peu de la chaleur et de la lumière de l’attention, de l’affection reçue de Michel Foucault dans Ce qu’aimer veut dire. C’est chez le philosophe, lui aussi mort du sida (en 1984), que Mathieu Lindon a rencontré celui qu’il appelle encore alors “Hervé Guibert”, en 1978. Les deux garçons ne se quitteront plus jusqu’à la mort d’Hervelino.
Ils sont tous deux journalistes – Guibert au Monde, Lindon au Nouvel Observateur, avant de devenir le critique que l’on sait pour les pages Livres de Libération en 1984 –, écrivains – Guibert vient de publier les nouvelles de La Mort propagande (1977), avant de sortir son premier roman, Les Chiens (1982), aux Editions de Minuit, la maison du père de Mathieu, Jérôme Lindon ; Lindon publie Nos plaisirs en 1983 sous le pseudo de Pierre-Sébastien Heudaux. “J’écris juste qu’il y a un être que j’aimais et que j’aime, lui et son œuvre”, poursuit Mathieu Lindon dans Hervelino.
Et c’est bien cela : pas une biographie, surtout pas un mausolée, mais une suite magnifique de moments enfuis mais ressuscités pour dire au plus juste un homme aimé, une vie partagée, une amitié qui culmine avec ces deux années passées ensemble à Rome, à la Villa Médicis, à la fin des années 1980. Les fous rires, les petits noms, les blagues, la nuit romaine, les restaurants préférés, Paris, les amis, les amants, le sida, et puis Mathieu qui va le voir à l’hôpital mais qui n’y arrive pas, ne sort pas de la voiture, reste sur le parking à attendre Christine (qui deviendra bientôt Christine Guibert).
Il n’y a ni pathos, ni grandiloquence, ni mélodrame dans Hervelino – Lindon les fuit –, mais de petites touches, des détails, des douceurs, comme autant de petits cailloux qui finiront par former une route faite, un temps, ensemble. Et s’achève sur l’après-mort et les traces de cette amitié amoureuse sous forme des dédicaces que Guibert faisait à Lindon, lui qui était devenu son premier lecteur (confiance ultime, Guibert lui demandait de corriger ses textes), et que celui-ci commente.
L’œuvre de Guibert s’arrête net en 1991 mais nous occupe encore aujourd’hui. Celle de Mathieu Lindon s’est poursuivie, s’est amplifiée, et s’agrandit encore de cet Hervelino d’une beauté d’autant plus marquante, poignante, émouvante qu’elle paraît simple, limpide, solaire. Comme s’il ne se passait rien d’autre que la joie des jours, jusqu’au moment où ceux-ci prennent fin, puisqu’on ne savait pas qu’ils allaient s’arrêter. A moins d’écrire. Une vie retrouvée.
Pourquoi as-tu eu envie d’écrire ce texte maintenant, près de trois décennies après la mort d’Hervé Guibert et après en avoir fait l’un des personnages de Ce qu’aimer veut dire ?
Mathieu Lindon — Je ne sais pas. Autant je peux être vif en certaines circonstances, autant, manifestement, il me faut du temps pour écrire sur les morts qui me sont chers. Sans doute que c’est trop difficile pour moi de faire rapidement un livre qui soit à la hauteur de mon chagrin, je dois attendre que le chagrin ait diminué. Mais je n’écris pas sur le chagrin – Michel Foucault, dans Ce qu’aimer veut dire, et Hervé Guibert ici –, j’écris sur la joie de les avoir connus que la mort n’efface pas.
Comment voulais-tu écrire ce livre ?
Au début, je ne pensais pas à faire un livre. Je m’en veux depuis une vingtaine d’années de ne pas avoir scrupuleusement annoté Le Mausolée des amants, le journal d’Hervé, quand il est paru dix ans après sa mort, pour y mettre les informations que seul je connais et qui seront perdues quand je serai mort moi aussi. Et je n’ai pas le courage de le relire rien que pour ça, ou je ne sais pas m’y prendre. Toujours est-il que je ne voulais pas que la même chose se reproduise avec les dédicaces que me faisait Hervé. Ce n’est pas le même statut, évidemment, mais elles disent tellement quelque chose de notre lien et de l’écriture de ses textes qui en est partie prenante que je trouvais qu’il y avait comme une générosité à les faire partager, ne serait-ce que pour les chercheurs qui travaillent sur l’œuvre d’Hervé.
C’est ça que j’ai d’abord fait, un petit texte qui expliquait chaque dédicace et que je destinais à l’IMEC, l’Institut mémoires de l’édition contemporaine où sont les archives d’Hervé. Quand je l’ai fait lire à Rachid, mon ami, il était déçu. Il trouvait ça un peu froid, ce qui était en effet le but, comme si je m’astreignais à quelque chose de scientifique. Et il m’a donné une idée me permettant d’écrire enfin autour d’Hervé, en me cantonnant aux années romaines, puisque nous avons été chacun pensionnaires deux ans à la Villa Médicis. Mon séjour commença un an après le sien et Hervé profita de mon confortable logement pour rester une troisième année où nous avons donc cohabité.
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C’était faire un portrait d’Hervé ? Ou, plutôt, celui de votre amitié ?
Faire un portrait d’Hervé, je ne m’y risquerais pas. Il a fait ça très bien lui-même. Mais le portrait de notre amitié, oui. C’est pour ça que j’ai gardé toutes ses dédicaces et mes commentaires après mon texte dans le livre, pour que les années dont je ne parle pas soient racontées quand même. Peut-être que ces dédicaces et ces commentaires seront utiles à des chercheurs qui travaillent sur Hervé, je l’espère. Mais, pour moi, leur utilité a glissé d’un pôle universitaire à un pôle plus universel : il me semble que l’ensemble dit quelque chose de l’amitié, discipline, si j’ose dire, qui a pour le coup de très nombreux chercheurs.
Comment votre amitié a-t-elle commencé à se nouer ?
C’est flatteur : Michel Foucault a été notre entremetteur. Il a parlé de l’un à l’autre et de l’autre à l’un en termes tels qu’on avait envie de se connaître, et alors qu’il organisait une petite réception, il nous y a invités tous les deux. C’était en 1978. Hervé s’est mis à l’écart, dans le grand salon de ce grand appartement de la rue de Vaugirard, je l’ai abordé en lui disant “Vous êtes puni, Hervé Guibert ?”, et cette phrase nous est restée.
Je suis tombé amoureux de lui, ou je l’étais déjà, sans doute, comme je l’ai aussi compris en écrivant Hervelino, parce que l’amour est une manière de surmonter ma timidité, il me faut ça pour aller vers les êtres. On n’a jamais couché ensemble et ça n’a jamais posé de problème. Trois mois après notre rencontre, cet épisode amoureux était derrière moi, derrière nous, cet épisode de désir sexuel. Tout de suite, je lui ai demandé un texte pour la revue Minuit dont je m’occupais alors, et il en a donné régulièrement, plus que qui que ce soit. C’est ainsi que l’écriture et la lecture ont immédiatement infiltré notre relation.
“On peut aussi bien prétendre que chaque amour, au sens large – amitié, affection, passion physique ou mentale –, est toujours un apprentissage. La vie, après tout, est un récit d’apprentissage dont on peine à être le héros”
Votre amitié ressemble à de l’amour, ce qu’on ressent c’est à nouveau, et vraiment encore, “ce qu’aimer veut dire”… Votre lien s’est aussi noué autour de l’écriture, du fait que vous étiez tous deux écrivains ?
Je me souviens que, dans les années 1980, Michel Foucault m’a dit un jour que notre relation, à Hervé et moi, était une relation amoureuse, et je fus convaincu. Ce qu’aimer veut dire est ce qu’il est convenu d’appeler un livre d’apprentissage, ce que je ne dirais pas spontanément d’Hervelino. Mais on peut aussi bien prétendre que chaque amour, au sens large – amitié, affection, passion physique ou mentale –, est toujours un apprentissage. La vie, après tout, est un récit d’apprentissage dont on peine à être le héros.
Tout de suite, les textes d’Hervé ont été un élément important de notre relation. De ce point de vue, la littérature a eu sa place entre nous, sa place extrêmement amicale. Au fil des années, c’est devenu un rituel de notre relation : un soir qu’on dînait ensemble, il me confiait un manuscrit, en fait un tapuscrit, je faisais une blague devenue sempiternelle quant à l’espoir de ne pas le laisser tomber dans la Seine ou sur une voie du métro puisque c’était l’original que j’avais entre les mains, et, avant notre dîner suivant, il passait chez moi où, assis côte à côte sur mon lit, je lui expliquais brièvement le sens de tous les coups de crayon que j’avais notés en marge et il reprenait son manuscrit dont je corrigeais ensuite les épreuves dans les mêmes conditions.
Je crois que ça le rassurait. Dans mon esprit, ce n’était rien : je m’estimais capable de le faire, alors c’était la moindre des choses de le faire, comme j’aurais vérifié l’étanchéité de sa douche si j’avais été plombier et qu’il craignait une fuite. Dans mon abrutissement, je ne m’en rendais pas compte, mais évidemment que c’était un lien, et d’autant plus fort qu’il me semblait complètement naturel.
En lisant Hervelino, on ressent aussi cette belle insouciance d’une jeunesse de la fin des années 1970, première moitié des années 1980. Ce moment de liberté (et de légèreté) sexuelle, amoureuse, artistique, intellectuelle… à Paris et à Rome. Comment, depuis aujourd’hui, vois-tu cette période (et son interruption par le sida) ?
Pour l’époque, je ne me rends pas compte ; quand on est dans les choses, elles semblent ne pas pouvoir être autrement, on n’y réfléchit pas. Je comprends bien que le Covid-19 complique la jeunesse des jeunes d’aujourd’hui. Mais je suis dans l’idée que chaque génération invente sans y penser sa manière d’être jeune. Alors oui, Hervé et moi on sortait dans des bars gays, on écrivait ce qu’on voulait, on pouvait multiplier des relations plus ou moins amoureuses (quand on y arrivait !), on disait n’importe quoi, mais c’était aussi notre âge et c’était aussi nous.
Faire les cons, vivre à plein notre joyeuse bêtise, ce n’était pas toute notre relation mais c’en était une part. Le sida a évidemment changé la vie sexuelle des gays de notre génération, et pas seulement la nôtre, mais on a continué à faire les cons, encore à Rome et encore quand Hervé s’affaiblissait visiblement. J’espère que je ne donne pas à cet entretien un tour tragique exagéré. Ses lecteurs savent qu’il n’était pas à se lamenter. C’était tragique qu’il soit en train de mourir à grande vitesse mais l’humour et la joie n’étaient pas congédiés pour autant, même l’année d’avant sa mort.
“Je téléphone à Hervé pour lui dire de prendre garde à ne pas voir le corps, que je l’avais fait et le regrettais, comme si c’était très important. Il passe chez moi en sortant de l’hôpital, je suis avec mon ami Gérard, il a vu le corps et rien pour lui ne s’est joué là”
Etiez-vous ensemble le jour de la mort de Michel Foucault ? Qu’avez-vous fait ?
Ce 25 juin 1984, Daniel Defert, l’ami de Michel, le futur fondateur d’Aides, nous a appelés l’un et l’autre. J’habitais près de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où est mort Michel, j’y ai couru. Tout s’est précipité, je me suis retrouvé dans sa chambre à voir son cadavre dans son lit sans l’avoir voulu. Je téléphone à Hervé pour lui dire de prendre garde à ne pas voir le corps, que je l’avais fait et le regrettais, comme si c’était très important. Il passe chez moi en sortant de l’hôpital, je suis avec mon ami Gérard, il a vu le corps et rien pour lui ne s’est joué là.
Daniel m’a raconté que lors d’un hommage à Michel au Marathon des mots de Toulouse, pour le trentième anniversaire de sa mort, il y avait eu un spectacle où un comédien représentant Hervé et un autre me représentant lisaient respectivement les extraits d’A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et de Ce qu’aimer veut dire correspondant à nos récits de cette journée. Je regrette de ne pas y avoir assisté. Mais quand, le 2 janvier 1992, je me suis retrouvé à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart, pour la levée du corps d’Hervé, j’ai pris soin de ne pas regarder à l’intérieur du cercueil.
Hervé Guibert était édité chez Minuit, par Jérôme Lindon, ton père, avant de passer chez Gallimard. Comment cela s’est-il passé quand il s’est fâché avec lui ? Quelle a été la part de Marguerite Duras dans cette histoire ?
Dans notre relation, Hervé m’a demandé à deux reprises de faire l’intermédiaire avec mon père, au tout début et pour A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Les deux fois, ce fut un fiasco. Au moment de La Maladie de la mort (en 1982 – ndlr), après sa rencontre avec Yann Andréa, Marguerite Duras manifesta un rejet de l’homosexualité. Hervé était persuadé que ses relations avec mon père se dégradèrent parce que Duras était mécontente que lui soit aussi à Minuit, comme elle allait être mécontente que lui aussi soit à L’Autre Journal. L’admiration n’interdisant pas la moquerie, elle devint entre nous une sorte de personnage de conte de fées ou de sorcières ; il la baptisa “la reine des reines et des rois”.
L’hostilité de Duras pour lui dans laquelle je fus également pris n’était pas une invention. Intervint-elle auprès de mon père ? Je n’en sais rien. Un jour, je lui ai demandé s’il était vrai qu’elle ne souhaitait pas qu’Hervé soit aux Editions, et mon père a levé les yeux au ciel d’une façon qui, dans ma perception, ne signifiait pas tant que Duras ne l’avait pas fait que “tu me connais, je suis imperméable à semblable ultimatum”. Le fait est qu’Hervé publia chez Gallimard à partir de 1985 mais que Les Gangsters et Fou de Vincent, en 1988 et 1989, sont chez Minuit.
Qu’as-tu pensé d’A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie au moment où tu l’as découvert ?
Il n’y avait pas de révélation narrative pour moi dans ce texte : je savais déjà qu’Hervé avait le sida. Mais ce fut quand même une révélation, parce que j’ai adoré ce livre. Et je crois que ça a fait d’autant plus plaisir à Hervé qu’il redoutait que je m’offusque de la présence de Muzil-Michel Foucault dans le livre. Même mort, Michel demeurait un élément primordial de notre lien. Et je fus au contraire admiratif qu’en racontant la mort de Michel il parvienne aussi bien à le montrer vivant, tel que je le connaissais et le reconnaissais, tel qu’on l’aimait. A ma manière, c’est ce que j’ai essayé de faire avec Hervé lui-même dans Hervelino.
“On lui a plus ou moins reproché un manque de militantisme, une façon trop personnelle de recevoir le sida, alors que, dans mon esprit, il a inventé son propre militantisme”
Il revendique avoir été influencé par Thomas Bernhard…
Un ami m’avait fait lire Thomas Bernhard juste avant que je parte à Rome : j’avais tout dévoré en trombe et apporté les livres à la Villa pour écrire dessus. C’est là qu’Hervé les a pris un à un, me rapportant le précédent quand il venait chercher le suivant, comme si j’étais une bibliothèque.
Je ne savais pas alors qu’il allait l’utiliser dans A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, prétendant que l’écriture de Thomas Bernhard était un virus qui le contaminait, mais, surtout, retournant ses méthodes contre lui si bien que c’est Thomas Bernhard qui allait se retrouver complètement thomas-bernhardisé dans le chapitre 73, lui, “un puceau tubard”, “un diatribaveur enculeur de mouches salzbourgeoises”, un “pauvre Don Quichotte imbu de lui-même”. Comme si Thomas Bernhard avait personnellement voulu l’influencer et ne devait donc pas s’étonner d’en payer le prix !
Comment et pourquoi, selon toi, est-il devenu une icône médiatique et, d’une certaine façon, un “martyr” du sida ?
J’ai deux bonnes raisons de ne pas répondre à cette question à laquelle je répondrai quand même. La première est que je préfère parler d’Hervé à propos de choses que moi seul peux dire, qui ne tiennent pas à une compétence de type universitaire ou journalistique mais à une proximité amicale. La seconde est que je ne vois pas Hervé comme une icône. Je ne me rends pas compte de sa destinée posthume, si ce n’est que des étudiants travaillant sur son œuvre me contactent plus fréquemment qu’il y a dix ans, qu’il intéresse de plus en plus mes proches. Mais de là à le percevoir comme une icône, sans doute n’ai-je pas le bon angle de vue.
Pourquoi l’est-il devenu, s’il l’est ? Il me semble que les êtres beaux et talentueux morts jeunes ont parfois ce triste privilège dont ils ne profitent pas. Et que les perspectives se sont inversées au fil des années. On lui a plus ou moins reproché un manque de militantisme, une façon trop personnelle de recevoir le sida, alors que, dans mon esprit, il a inventé son propre militantisme, une sorte de militantisme ne rejoignant pas une cause constituée mais la créant, mêlant vie et mort, maladie et littérature, individu et collectivité, la part impartageable de chacun que la littérature permet de partager. Mort, il est vraiment devenu le héros de ses livres. Je pense aussi que ses photos ont connu un succès qu’il n’imaginait pas et qui contribue à la diffusion de sa sensibilité.
“Il est grand, il est beau, en bonne santé, il a les cheveux bouclés, il est excité, il est accablé, il est sérieux, il est plaintif, il est joyeux, il est au courant des nouveaux restaurants agréables”
Comment le décrirais-tu ? Comment était-il ?
Comme mes lecteurs ont dû le subodorer, la description n’est pas mon fort. La première fois qu’on a dîné seuls ensemble, au restaurant – nous n’avons jamais, même à Rome, dîné seuls l’un chez l’autre –, il m’a raconté je ne sais plus quelle histoire au milieu de laquelle il a cru bon d’ajouter gravement le commentaire : “Moi, je ne crois pas aux fantômes.” Et j’ai dû dire quelque chose comme : “Ah, d’accord, tu es ce genre de garçon qui ne croit pas aux fantômes”, et on a ri et quelque chose avait démarré. Il était ce genre de garçon qui pouvait croire qu’on croyait qu’il croyait aux fantômes et aux présages et aux prémonitions.
Au fil des jours, des années et des événements, tel que je m’en souviens : il est grand, il est beau, en bonne santé, il a les cheveux bouclés, il est excité, il est accablé, il est sérieux, il est plaintif, il est joyeux, il est au courant des nouveaux restaurants agréables, il vient de découvrir un écrivain que tout le monde connaît déjà ou au contraire que ses amis seront heureux de lire à leur tour, il est malade, il est combatif, il est rieur, il a les cheveux courts, il raffole des belles choses, il est compréhensif, il est jeune, il trouve que des gens exagèrent, je n’ai jamais pris de LSD ni d’héroïne avec lui, il est toujours très bien habillé, élégant, et il aurait 65 ans aujourd’hui, comme moi.
Comment vit-on le reste de sa vie quand on a perdu aussi jeune des amis autant aimés ?
J’ai eu une chance incroyable de rencontrer, au sens fort, des êtres aussi magnifiques. Et j’ai eu la chance incroyable d’en rencontrer d’autres – grâce à Michel et Hervé, d’ailleurs, factuellement ou psychologiquement.
Hervelino (P.O.L), 176 p., 18 €
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