En route pour Saint-Pétersbourg, un jeune journaliste change brutalement de destination et de destin. Le roman punk d’Ilya Stogoff embarque dans une odyssée russe, à fond la folie et la belle littérature.
Reliure noire, tranche rouge. mASIAfucker a une allure de missel. Mais un missel diabolique, tel un écho à son sous-titre : “La passion d’un punk séminariste”. Quel fracas déjà dans cette réunion de mots qui n’ont rien à faire ensemble sinon, deux cents vodkas plus tard, se foutre sur la gueule avant de s’embrasser. Boucan de noms aussi : à une consonne près, Stogoff, l’auteur du livre, aurait pu s’appeler Strogoff.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comme chez Jules Verne, le récit est celui d’une traversée de la Russie, toujours plus à l’est, tendue vers l’Orient. Comment s’approcher de la Chine quand on a l’intention, jeune Ulysse-journaliste en pérégrination à Moscou, de rentrer gentiment à son Ithaque, en l’espèce Saint-Pétersbourg, ville natale du narrateur, où l’attendent femme et enfant ?
Changer de train comme on change de vie
Rien de plus simple : changer de train comme on change de vie. Soit donc une odyssée le plus souvent ferroviaire qui comme son modèle homérique consiste à s’éloigner le plus possible de sa destination pour tenter d’y revenir.
Mais une odyssée singularisée par son autochtonie, encastrée dans une “russité” dévorante : “Qu’il est grand, mon pays, il occupe les trois quarts de l’Eurasie. ça fait beaucoup d’espace… et relativement peu d’individus méfiants, et beaucoup d’ivrognes.” “Comme tout honnête homme, je ne peux pas supporter ma mère patrie.”
Humains cabossés et paysages salopés
A en croire “l’honnête homme”, il y a de quoi : des confins de la Sibérie aux anciennes républiques asiatiques, il n’est question que d’humains cabossés (pute à un dollar, crapule à deux doses d’héroïne) et de paysages salopés (Samarcande en déchèterie). Quant aux grands événements… De l’explosion de Tchernobyl à l’implosion de l’URSS (l’auteur est né en 1970), le bruit le dispute à la fureur.
A l’aune de ce “je t’aime, moi non plus”, consubstantiel au grand roman russe, mASIAfucker le bien nommé est un manuel d’histoire-géo concassé qui réanime le précepte de Beckett (“on est con mais pas au point de prétendre qu’on voyage pour le plaisir”), tout en faisant de l’idiotie du périple une matière littéraire qui enfonce dans la folie à pas de géant.
En anxiolytique,Stogoff prescrit un quant-à-soi qui est aussi un quant-aux-autres : “S’il y a une vitre, tout va bien. Tu peux te dire que la vie, c’est simplement du cinéma. Sinon, tu dois te rendre à l’évidence : tout le bazar qui se produit en ce bas monde a un rapport… un rapport très sérieux avec toi.”
mASIAfucker – La passion d’un punk séminariste (Louison Editions), préface de Simon Liberati, 326 pages, 25 €
{"type":"Banniere-Basse"}