L’autrice de “Marx et la poupée” a choisi le prisme de l’école pour raconter son adolescence en banlieue parisienne. Un texte politique et salutaire, mais aussi plein d’humour.
La connexion Skype est à peine établie que l’on entend son rire. Dans la vie comme dans ce qu’elle écrit, Maryam Madjidi est peut-être d’abord reconnaissable à cela : un humour, une énergie, une spontanéité. Elle a raconté dans Marx et la poupée (Le Nouvel Attila), qui lui a valu le Goncourt du premier roman en 2017, comment elle est arrivée en France à 6 ans avec ses parents réfugiés politiques qui fuyaient l’Iran. Un livre très drôle, où pourtant surgissaient des souvenirs extrêmement violents.
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Ici, Madjidi parle de son adolescence à Drancy et de son entrée en prépa une fois le bac obtenu. Les situations décrites sont souvent cocasses, et pourtant terribles. Aujourd’hui, elle estime que c’est à la banlieue qu’elle doit ce type d’humour consistant à savoir rire de choses douloureuses : “Cette distance nous évite de tomber dans la victimisation ou dans une rage sans limites qui donne envie de tout casser.”
Histoire d’une bonne élève déçue
Ce n’est pas un hasard si Madjidi nous parle depuis Drancy, où elle vit de nouveau après plusieurs années passées à Paris, Pékin et Istanbul. C’est à Drancy qu’elle a écrit ce second roman dans une démarche intéressante, loin des clichés sur la banlieue.
Fière de ses origines, elle explique sa volonté de critiquer les dominants, se souvient de ses parents intellectuels et des bouquins qu’on trouvait à la maison. Pas n’importe lesquels : “Des livres très politisés car lire doit nous servir à changer la société.” Une conviction, et non pas une parole en l’air, pour l’autrice qui était sur la liste du communiste Ian Brossat aux dernières élections européennes.
“Il y a un moment où il faut arrêter de se raconter des histoires. Moi, je dénonce le mythe de l’égalité des chances dans ce pays.”
C’est dans cette optique que Madjidi s’attaque dans son nouveau roman à l’éducation nationale. La bonne élève qu’elle a été pensait pouvoir intégrer l’élite de la nation : “Pas du tout pour rejoindre la bourgeoisie ou avoir de l’argent. C’était l’excellence que je voulais atteindre. Et ça a été une claque.” Elle dénonce les failles du système scolaire dans les quartiers défavorisés, notamment à travers les exemples de ces mauvais·es profs relégué·es dans le 93 qu’elle a bien connu·es.
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Loin de se considérer comme une victime
Une galerie de portraits proprement effarante et un véritable tabou en France, où les enseignant·es de banlieue sont souvent décrit·es comme des professionnel·les extraordinairement impliqué·es. “Il y a un moment où il faut arrêter de se raconter des histoires. Moi, je dénonce le mythe de l’égalité des chances dans ce pays.”
“Comme je le dis dans mon livre, certains profs sont des vaincus devenus fous. C’est tout un système qui produit ça. On se le disait, au lycée, ZEP signifie ‘Zone à éducation pourrie’. Beaucoup d’entre nous ont développé une conscience politique à cause de ça. On savait que ce n’était pas du tout pareil pour les autres.”
“Je pensais qu’il était possible d’avoir ma place au sein de l’excellence républicaine.”
Pourtant, Madjidi, qui a fait des études de littérature comparée à la Sorbonne et enseigne le français à des mineur·es migrant·es isolé·es, refuse de se considérer comme une victime. Surtout, elle a rejoint le monde intellectuel, son rêve d’adolescence, grâce à l’écriture. Quand on lui fait remarquer l’importance de se reconnaître victime pour transformer le système, elle répond : “J’en ai conscience. J’ai fait l’expérience du plafond de verre. C’est vrai que si j’avais pu intégrer un lycée parisien dès la seconde, les choses ne se seraient peut-être pas passées comme ça. Mais je ne veux pas me plaindre de ce cheminement dans la vie.”
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Tout de même, les pages consacrées à son entrée en prépa littéraire, où elle ne reste que trois semaines avant de capituler, sont littéralement glaçantes. Son livre est à ce titre un précieux récit qui décrit un système où les dés sont pipés, puisqu’on demande aux étudiant·es de plancher sur des sujets que tous·tes ont étudiés au lycée, sauf celles et ceux scolarisé·es en banlieue. Un système où il ne s’agit pas de sélectionner les meilleur·es, mais d’assurer l’avenir de jeunes gens déjà privilégiés. “Il est impossible d’arriver en prépa et de rattraper dix ans de scolarité”, résume Madjidi.
Et elle se souvient : “C’est comme si j’avais vécu dans un joli conte de fées concernant l’école. Je faisais partie des trois premiers de la classe depuis le début de ma scolarité, je pensais qu’il était possible d’avoir ma place au sein de l’excellence républicaine. Imaginez à quel point ça a été violent. D’un coup, j’ai de nouveau 6 ans, je viens d’arriver en France, et à la question sociale s’ajoute la question raciale. J’étais à nouveau l’étrangère. Je vous assure : dans ce que j’ai écrit sur la prépa, il n’y a aucune exagération romanesque.”
Pour que je m’aime encore de Maryam Madjidi (Le Nouvel Attila), 212 p., 18 €. En librairie le 27 août
Retrouvez un extrait dans le cahier complémentaire du mensuel Les Inrockuptibles n°3
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