On l’avait repéré avec “77” il y a deux ans. Son deuxième roman tient ses promesses : fulgurant, nerveux, politique, il met en scène une série de personnages en garde à vue le temps d’une nuit. Rencontre.
Les progrès de la communication embarrassent la communication mais peuvent aussi la rendre romanesque. Pour preuve, un rendez-vous bidouillé à coups de SMS avec Marin Fouqué, jeune (30 ans) auteur, bien aimé pour son premier roman, 77, et adoré pour son deuxième, G.A.V. Dans un premier temps, il textote qu’il ne peut pas, mobilisé par un déménagement en banlieue. Plus tard, il écrit que ce serait mieux en ville, n’importe où.
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Ce sera à la station de métro Jaurès, dans le XIXe arrondissement de Paris. Il écrit qu’il voit où se trouve l’esplanade qui va jusqu’au canal de l’Ourcq. Nous y sommes, un après-midi de juillet. Mais pas lui, croit-on. Sur le net, ses quelques portraits montrent un jeune type brun, barbu, le crâne rasé. Rien, de loin ou de près, qui ressemble à ça.
Rencontre autour d’un sirop de grenadine
N’était, à moins de deux mètres du parapet où l’on s’est assis, un jeune homme, certes, mais aux cheveux longs décolorés en blond, jean et baskets rayées de fluorescence, chaîne argentée autour du cou. Or, c’est bien lui qui le premier rompt le festival de coups d’œil prudents pour tisser le fil d’un plain-pied souriant.
Pour avoir lu Marin Fouqué et vu ses performances ou ses microfictions vidéo où il se met en scène, on s’attendait à un gars pas commode, voire rétif. Ce désaveu d’un cliché fantasmatique est déjà une première bonne surprise.
D’autres vont suivre à la terrasse d’un café où la serveuse ne cache pas son étonnement puis son fou rire qu’un gaillard de cette espèce commande un sirop à la grenadine. Soudain, on détecte qu’un petit Marin se blottit encore dans les bras du grand Fouqué. Il se penche, très attentif pour écouter les questions.
Comme il fallait dire “sept-sept” pour articuler 77, le titre de son premier roman, comment faut-il prononcer G.A.V., acronyme de garde à vue ? “Gavé, précise-t-il. Ce récit est parti d’une haine surabondante : la haine du flic. Étant blanc, hétéro et français, dans l’espace public je ne risque guère un contrôle mortifiant. Mais cette haine était en moi comme une aigreur d’estomac.” Comment transforme-t-on une haine en livre ?
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Roman choral ou bouillon de culture ?
“Il ne s’agit pas seulement de hurler mais d’écrire son hurlement. En faisant surgir des personnes qui, le temps d’une garde à vue, deviennent des parias d’un soir, d’une nuit, d’une vie. Dans ce trou noir, forcément il y a des flics. Mais à leur façon, ce sont aussi des parias. Ils sont des prolos de la répression, un bras armé qui souvent se retourne contre eux. Le nombre de suicides de flics est conséquent et le plus souvent ils se donnent la mort avec leur arme de service. Mon rapport à la police s’effilochait comme mon rapport à la masculinité s’était effiloché à l’écriture de 77.”
Parmi les personnages de G.A.V., il y a un cadre violeur. Un paria lui aussi ? “Par souci d’honnêteté, je voulais ce type qui est censé avoir plus de droits que les autres. En garde à vue, il n’y a plus de droits. Mais pour ce personnage ‘démocratisé’ par la garde à vue, les privilèges demeurent. Il est peu probable qu’un flic tutoie un cadre sup.” Et puis, autre personnage particulièrement attachant, celui d’une femme, manutentionnaire dans un dépôt de vêtements.
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“C’est du live. Au moment où 77 allait sortir, je travaillais à Pantin, dans un entrepôt de fringues appartenant à Place des Tendances, un champion du commerce en ligne. Pour un Smic, tu transbahutes des vestes à 2 000 euros ou des sacs à 3 000. Chaque matin, tu reçois un SMS qui te dit si tu gardes ou pas ton boulot. Après avoir été viré, j’ai travaillé dans un autre entrepôt où les choses allaient un peu mieux. On avait le droit de se parler.” Et bien sûr, tous les autres protagonistes de G.A.V. Un roman choral ? “Plutôt un bouillon de culture, une soupe commune et populaire.”
“On peut vite devenir un charognard, un vautour qui plane au-dessus de la misère”
Sur la pointe des pieds, la confiance aidant, on s’approche d’un danger. Que Marin Fouqué devienne un écrivain ès misères. “On peut vite devenir un charognard, un vautour qui plane au-dessus de la misère. Avec une héroïsation des miséreux qui les transforme en êtres exotiques. Charognard de ses proches et charognard de soi-même quand rôde le spectre de l’autofiction.”
“Quand tu te racontes en racontant les autres, quel rôle tu te donnes ? Un super-héros ? Une super-merde ? Si tu t’intéresses à la vie d’un migrant, plutôt que de se pencher puis de se redresser et de détaler pour l’écrire, je crois qu’il est plus juste et plus beau de se demander si, pour l’aider, il n’y a pas d’autres moyens plus fraternels que l’écriture. Et se demander aussi quel migrant fondamental nous habite. C’est vital et je ne pourrais pas vivre autrement.”
G.A.V. (Actes Sud), 448 p., 22 €. En librairie
Retrouvez un extrait dans le cahier complémentaire du mensuel Les Inrockuptibles n°3
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