Dans un monologue écrit pour le théâtre, Marie NDiaye fait entendre le récit d’une professeure de français dévorée par un drame intime.
En attendant la parution de son prochain roman, La vengeance m’appartient, annoncé pour janvier prochain, Marie NDiaye partage Royan, une pièce qui devait être jouée cette année au Festival d’Avignon, annulé pour cause de pandémie. C’est donc sur papier qu’on découvre ce texte qui, par sa forme – un monologue –, peut être lu comme un roman bref à une voix, tendu et énigmatique.
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On retrouve ici l’univers fascinant de Marie NDiaye, un monde cruel où les rapports humains sont par essence destructeurs. Comme dans Trois Femmes puissantes, qui lui valut le Goncourt en 2009, ou déjà dans Rosie Carpe, prix Femina en 2001, la romancière a su créer un personnage féminin torturé par une douleur indicible et ancienne. Et comme dans une pièce précédente, Berlin mon garçon (2019), c’est l’incompréhension entre parents et enfants, l’impossible transmission d’héritage entre générations, qu’elle met en scène.
Nœud de souffrances muettes
Gabrielle est prof de français à Royan. Dans un monologue lancinant, elle s’imagine en train de se justifier face aux parents de Daniella, une ado qu’elle avait en classe. Quelque chose d’horrible s’est passé, qu’on ne vous racontera pas. Gabrielle se souvient de la relation qui s’était instaurée entre Daniella et elle. Elle tente de reconstituer le désastre, de s’autoexcuser quand la culpabilité la dévore.
Peu à peu, par dévoilements successifs, NDiaye met au jour les gouffres de toute une vie, et la lointaine enfance de la narratrice resurgit par éclats tranchants
On comprend, derrière l’apparente banalité de cette histoire de lycéenne, que l’ado était dérangeante par son existence même et qu’elle a fissuré la belle assurance de la prof : “Les cheveux-serpents de Daniella semaient confusion et révolte comme jamais encore je n’en avais connu.” Peu à peu, par dévoilements successifs, NDiaye met au jour les gouffres de toute une vie, et la lointaine enfance de la narratrice resurgit par éclats tranchants – “Elle n’était pas une bonne mère et je rêvais de la trouver morte un soir, j’en étais obsédée.”
L’incompréhension et l’incommunicabilité, la colère aussi, sont au centre du propos de l’autrice. Entre Gabrielle la prof et Daniella l’ado, c’est un inextricable réseau de jalousie, d’attente déçue et de défi qui s’est tissé. A l’intérieur de ce nœud de souffrances muettes, l’impossibilité d’une parole aimante pourrait résumer la condition humaine selon NDiaye. Et sa narratrice n’en finit pas de faire le compte de tout ce qui n’a pas été dit.
Royan. La professeure de français (Gallimard), 72 p., 9,50 €, en librairie le 5 novembre
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