La nouvelle expo Proust de l’année, “Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre”, qui ouvre le 11 octobre à la BNF renouvelle notre vision de “La Recherche” en nous entraînant loin dans les coulisses de sa création. Passionnant.
Dans l’une des salles de l’impressionnante exposition qui ouvre le 11 octobre à la BNF, après les deux expositions passionnantes déjà consacrées à l’écrivain cette année (Paris dans La Recherche au musée Carnavalet, Proust et le judaïsme au MahJ), l’incroyable montage des épreuves et notes de Proust, comme des organismes proliférant, mis en ordre par une certaine mademoiselle Rallet afin que les imprimeurs s’y retrouvent.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si les manuscrits de Proust, avec leur lot d’ajouts à n’en plus finir – ses fameuses paperolles – sont devenus légendaires après sa mort, l’écrivain avait déjà conscience de leur valeur, au moins esthétique, de son vivant. Dans une vitrine, on aperçoit la couverture reliée de tissu à fleurs qui comprenait des fragments du manuscrit d’À l’ombre des jeunes filles en fleur, que Proust offrit à Céleste Albaret, qui en fit don plus tard à Reynaldo Hahn. C’est dire comme Proust aurait aimé cette exposition, qui montre l’envergure de son travail et dévoile la “fabrique” palpitante de l’œuvre, le geste ou plutôt les gestes de l’écrivain – dont la manière de travailler était de multiplier les brouillons, les essais, les expériences d’une même phrase, d’un même passage – faisant de La Recherche une sorte de monstre tentaculaire. Ou en tout cas un organisme mouvant, toujours vivant, puisqu’au fond jamais vraiment fini, toujours en cours de réécriture perpétuelle. D’ailleurs, on apprend que la veille de sa mort, le 18 novembre 1922, il dictait encore à sa gouvernante, Céleste, une suite pour Albertine.
Un livre inachevé ?
Si au départ La Recherche ne devait comprendre que deux volumes, écrits presque en parallèle, soit le premier (Du côté de chez Swann) et le dernier (Le Temps retrouvé), elle deviendra plus ample à mesure qu’elle s’écrit, le projet organique se nourrissant de davantage de réminiscences, d’êtres, de situations et de temps. La Recherche est-elle un livre inachevé ? Si Proust, prévoyant et très conscient de son mauvais état de santé, avait pris soin d’écrire déjà sa fin, sa dernière phrase, la tomaison qui paraîtra ne sera pas celle que l’écrivain avait prévu.
La parution de tous ses volumes s’étendant de façon posthume jusque cinq ans après sa mort en 1927, sans qu’il puisse le contrôler. Par exemple, les 250 pages qu’il avait supprimées de La Prisonnière, pages sur la douleur qu’engendre la mort subite d’Albertine, sur le deuil, seront réintégrées dans l’œuvre. Ce qui fascine dans l’exposition, c’est son parti prix de “suivre”, comme point de référence, le plan de la dernière annonce du roman paru et à paraître. Différent des sept tomes de l’édition canonique mise au point dans les années 1930, mais tel qu’on le trouve dans le numéro du 1er décembre 1922 de La Nouvelle Revue française au lendemain de la mort de Proust : Du Côté de chez Swann ; À l’ombre des jeunes filles en fleurs ; Le Côté de Guermantes I ; Le Côté de Guermantes II – Sodome et Gomorrhe I ; Sodome et Gomorrhe II ; Sodome et Gomorrhe III, La Prisonnière – Albertine disparue. “Sodome et Gomorrhe en plusieurs volumes (suite) ; Le Temps retrouvé, précisent Nathalie Mauriac Dyer, Antoine Compagnon et Guillaume Fau, les commissaires de l’exposition.
Réécriture
Celle-ci commence par la première phrase, montrant ses diverses réécritures, et la toute dernière. Entre le premier mot, “longtemps”, et le dernier “le temps”, toutes les étapes clés d’une œuvre qui donne le vertige à force de correspondances et de circularité, encore plus vertigineusement car doublés ici de tous les possibles, de toutes les ébauches, de tous les retranchements, d’une œuvre que Proust n’a pas écrite linéairement. La madeleine fut d’abord du pain rassis, puis grillé. Mme Swann avait beaucoup des traits de la propre mère de l’auteur, dont la judéité, ce qu’il supprimera.
En plus de nombreux manuscrits, sont exposés les carnets, l’agenda de 1906, une cape de Doucet et des robes Fortuny, des tableaux et des photos, des lettres, des documents inédits, jamais encore montrés. Toute cette exposition s’impose comme le contre-pied de l’idée romantique d’un Proust pouvant s’autoriser à mourir au moment où il met le mot fin, montrant la dimension d’inachevée de l’œuvre. Dans une lettre, à la veille de la mort de Proust, Céleste déplore qu’il refuse tous les soins, l’interdit d’appeler le médecin. Proust s’est-il laissé mourir ? Si oui, deux hypothèses : il savait en effet son œuvre terminée, ou il la savait de toute façon interminable.
Marcel Proust. La Fabrique de l’œuvre à la BNF, site François Mitterrand Paris XIIIème. Jusqu’au 22 janvier.
À lire : le catalogue Marcel Proust. La Fabrique de l’œuvre (Gallimard/ Bibliothèque nationale de France) 238 p, 39 €
{"type":"Banniere-Basse"}