Déjà attiré dans le passé par la noirceur, le dessinateur français livre une version magistrale du roman postapocalyptique de Cormac McCarthy.
Des nuages noirs envahissent le ciel jusqu’à l’engloutir et former un vortex menaçant. Partout, les cendres chassent les rares survivant·es d’un monde à l’agonie. Dès l’introduction, Manu Larcenet met en image avec assurance le décor sauvage imaginé par l’écrivain Cormac McCarthy pour La Route, prix Pulitzer de la fiction 2007.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il y a moins d’une décennie, le dessinateur français avait déjà montré, en adaptant Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, combien il excellait à mettre ses crayons et sa mise en scène au service d’un récit préexistant. Il y a d’ailleurs des points communs entre les deux romans, fables intemporelles sur une humanité proche du désespoir mais qui se bat jusqu’au bout. On comprend vite comment Larcenet a pu se projeter dans La Route avec ses deux protagonistes anonymes liés par le sang – ils sont père et fils – et un besoin d’avancer coûte que coûte, vers un ailleurs incertain, en traînant un caddie contenant leurs dernières richesses.
L’histoire postapocalyptique de McCarthy est avare en dialogues, en actions et péripéties, matière malléable pour un artiste qui s’épanouit en retranscrivant le sillon désolé tracé par des personnages souvent réduits à des silhouettes fantomatiques. Larcenet, qui a rendu public il y a des années son trouble bipolaire, a toujours alterné bandes dessinées cathartiques et albums plus humoristiques.
Cette hygiène de vie a pris un virage plus prononcé depuis l’étouffante série Blast publiée entre 2009 et 2014. Sa relecture intense de La Route paraît ainsi après l’autofiction bavarde, comique et colorée Thérapie de groupe. Ici, à l’autre bout de son spectre artistique, il manie les nuances de gris et les cadrages pour montrer l’indicible, les regards et la barbarie, le fracas sourd des armes et le temps qui passe. Ses pages muettes d’une violente poésie et son travail sur les textures, entre gravures à l’ancienne et inventivité numérique, nous entraînent dans un tourbillon incessant de cendres dont on ne peut sortir indemne, malgré un hommage furtif à Sempé et à ses oiseaux.
La Route de Manu Larcenet (Dargaud), d’après Cormac McCarthy, 160 p., 28,50 €. En librairie le 29 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}