Plus de trente ans après ses premiers polars cultes, l’autrice new-yorkaise renoue avec le genre de ses débuts et signe un roman noir, lesbien et anti-Trump. Pas forcément subversif mais jouissif.
De passage à Paris en 2017, l’icône de l’East Village, activiste queer et figure de l’underground new-yorkais, Sarah Schulman nous avait confié qu’au début de sa carrière, écrire des polars était pour elle un acte militant. A cette époque où les grandes maisons d’édition américaines refusaient les manuscrits dont les héros étaient ouvertement gays, s’acharner, malgré la censure éditoriale, à inscrire des personnages queer dans un genre très populaire comme le roman noir était alors un geste politique, “une manière d’affirmer [leur] droit d’exister dans la culture mainstream”.
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Un combat de longue haleine
A la fin des eighties, l’autrice publiait ainsi The Sophie Horowitz Story puis After Delores, des textes nerveux, sanguins, dans la pure veine hardboiled, considérés comme “les premiers polars lesbiens”. Devenus depuis des romans cultes, ils demeurent la matrice d’une littérature des marges. Combative, subversive, inspirante.
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Presque 30 ans, 8 romans hors polars et 7 essais plus tard, Sarah Schulman renoue aujourd’hui avec le genre de ses débuts. Dans ce nouveau roman noir, elle suit les premiers jours de sortie de cure de Maggie Terry, une ancienne flic toxico que les addictions ont brisée et dépossédée de ses piliers vitaux : sa femme, sa fille, son job et ses illusions. Recrutée comme détective privée par une vieille connaissance bienveillante, l’héroïne en rédemption se retrouve précipitée dans une affaire de meurtre à Broadway, avec jeune première étranglée, amant inquiétant, famille dysfonctionnelle et ambitions dévorantes.
Explorer la complexité du monde
Mais au-delà de cette intrigue policière aux airs de prétexte narratif, le récit s’attache surtout à déployer encore, toujours, les grands thèmes de lutte de l’écrivaine. Situé en 2017, à l’aube du long cauchemar de l’ère Trump (“L’Agent Orange”), le texte fustige la gentrification déshumanisante de la Grosse Pomme qui expulse travailleurs pauvres et immigrés toujours plus loin; constate le climat de folie paranoïaque qu’instaure le président; et réaffirme la croyance de l’autrice en la complexité des êtres et de leurs actions, refusant de réduire chaque chose et chacun à la binarité simpliste du bien et du mal, de l’innocent et du coupable.
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Près de 40 ans après The Sophie Horowitz Story, la fiction de Sarah Schulman semble ne plus bénéficier de l’aura subversive qu’elle avait alors – elle n’est plus vraiment underground, dérangeante ou révolutionnaire. Mais loin d’être une déception, c’est plutôt la confirmation réjouissante que ses décennies de lutte ont payé. Que l’époque, les représentations, les droits et l’édition ont changé.
Maggie Terry (Inculte) de Sarah Schulman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maxime Berrée, 320 pages, 19,90 €
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