Bientôt chassée des kiosques, la revue américaine Mad a été à la source d’un humour irrévérencieux et parodique, qui des Nuls à Austin Powers, a fait des petits.
A partir de l’automne prochain, le monde sera un peu moins fou et peu drôle. Le magazine satirique américain Mad va en effet cesser d’être présent dans les kiosques pour n’être plus disponible que par abonnement. A part le temps de numéros spéciaux, la revue ne publiera plus de matériel original, que des choses déjà connues. Mad va ainsi radoter jusqu’à la fin des temps – ou une plus probable fermeture – ce qui se révèle ironique pour un des bastions de la caricature et de la parodie qui a eu une joyeuse et très étendue descendance. Le Saturday Night Live, les Austin Powers, les fausses pubs des Nuls, Les Simpson de Matt Groening, les pages d’actualité du journal Pilote de René Goscinny à la fin des années 1960, les photos-montages trash d’Hara Kiri… sans Mad, tous ceux-là auraient-ils sévi ou été si amusants ?
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De Gotlib à Goscinny, tous inspirés
Dans le livre d’entretiens menés par Numa Sadoul et publié aux éditions Dargaud, le grand Marcel Gotlib se souvient de « l’effet incroyable » qu’a eu sur lui la découverte de Mad Magazine. Que ce soit avec La Rubrique-à-brac ou avec Superdupont, il a été un des ambassadeurs français de cet humour absurde et délirant où tout (ou presque) était permis. René Goscinny, le scénariste d’Astérix et de nombreuses autres créations, a lui aussi bien connu le New-yorkais Harvey Kurtzman, qui a impulsé l’esprit satirique de Mad. Que ça soit Goscinny ou Gotlib, les deux garderont un respect éternel pour le visionnaire américain. Dès qu’il en aura l’occasion, l’auteur de Gai-Luron débauchera d’ailleurs Kurtzman pour quelques planches parues dans Fluide Glacial, rejeton assumé de Mad.
Si on ne se cantonne pas à la sphère humoristique, l’influence de la revue américaine s’avère encore plus gigantesque et profonde. Ainsi, en 2007, la femme de lettres Joyce Carol Oates écrivait dans les pages du magazine Time tout son amour pour ce « comic book merveilleusement inventif, irrésistiblement irrévérencieux », qualifiant sa lecture de « plaisir coupable le plus prisé ». Elle ajoutait alors : « Mais pourquoi coupable ? Aucune personne admirant Mad Magazine ne devrait ressentir le besoin de s’excuser. »
De la Bible à la provoc’
Tout ce vent de folie est parti d’une succession. En 1947, William Gaines hérite de son grand-père la maison d’édition, Educational Comics, dont une des publications phare met en images… la Bible. Mieux au fait de ce dont le public peut avoir envie, le petit-fils Gaines rebaptise la société Entertainment Comics et choisit les histoires d’horreur pour faire frémir les ventes. Après The Vault of Horror, The Haunt of Fear ou The Crypt of Terror, il investit dans l’humour avec Mad dont la devise (traduite) est déjà provocante : « Des histoires à vous rendre dingues. »
La rédaction en chef est assurée par Harvey Kutrzman, qui, aidé par d’autres dessinateurs tels que Wallace Wood ou Jack Davis, s’ingénie à proposer à la société américaine un reflet d’elle-même fidèle, bien que déformé par la satire. Kurtzman et Mad n’ont pas peur de s’attaquer à la culture populaire et à la société de consommation alors en train d’étendre leur influence. La télévision, les publicités, les super-héros, les personnages tels que Robin des Bois… rien n’échappe à leur regard sarcastique, soutenu par des graphismes solides.
Une revue qui rend fous les géants
L’irruption dans le numéro 4 de Clark Bent alias Superduperman, amoureux de Lois Pain, booste même les ventes. Plus tard rebaptisé DC Comics et à l’origine de la décision d’enlever Mad des kiosques, National, l’éditeur du vrai Superman, menace la BD d’un procès après s’être étranglé devant cette parodie scénarisée par Kurtzman et dessinée par Wallace Wood. Gaines promet d’abord qu’il ne publiera plus ce genre de détournements avant de changer d’avis, conseillé par un avocat malin et alléché par le succès. Il laisse ainsi sévir le rédacteur en chef et ses doux dingues de collaborateurs qui s’amusent tellement que ça finit par exciter la censure américaine.
Alfred reste
En 1954, suite à la campagne de dénigrement des bandes dessinées par le psychiatre Fredric Wertham, auteur du livre à charge Seduction of the Innocent, un code de bonne conduite et d’autocensure est institué, le Comics Code Authority. Gaines décide alors de changer le format de Mad qui n’est plus un comic book soumis à ce contrôle mais un magazine. C’est à peu près à la même époque que la revue se trouve sa mascotte, forcément absurde, Alfred E. Neuman, garçon au sourire d’autant plus désarmant qu’il lui manque une dent de devant. Au fil des décennies, des départs (celui de Kurzman a lieu en 1956) et des arrivées (celle de l’Espagnol Sergio Aragonés en 1963), Alfred demeure au cœur de l’identité du magazine.
Au fil des années, les ventes de Mad chutent avec la multiplication des sources de divertissement. Puis la revue retrouve du mordant à la suite de l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. En 2017, le magazine Rolling Stone salue même dans son bilan de fin d’année la bonne santé du magazine satirique. Finalement, le comportement outrancier du président américain n’aura pas suffi à garder à Mad sa place en kiosque, après 67 années d’existence.
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