En cachant ses personnages, la dessinatrice Lorraine les Bains signe une étonnante BD où suspense et humour absurde mènent la danse.
Dans sa préface, l’auteur Fabcaro – qui signe, par ailleurs, régulièrement dans ce magazine une planche inédite de sa série Open Bar – raconte que Lorraine les Bains lui a confié ses doutes quant au concept de Waldo. Finalement, la dessinatrice a pris le risque d’imaginer une BD comme nulle autre, allant jusqu’au bout d’une démarche radicale : dans cet album, les nombreux personnages, pourtant bien humains, n’apparaissent jamais devant nos yeux.
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Dans de rares cas, on devinera leur silhouette derrière une fenêtre ou un rideau, éclairée par une lampe. Sinon, ils restent cachés par les banales façades d’immeubles et les extérieurs des maisons qui les abritent.
Alors que ce parti pris graphique aurait pu lasser, il se révèle réjouissant, exploitant notre tendance au voyeurisme et exacerbant notre imagination
Sur chaque page, les phylactères se multiplient et symbolisent les différents protagonistes. Alors que ce parti pris graphique aurait pu lasser, il se révèle réjouissant, exploitant notre tendance au voyeurisme et exacerbant notre imagination. Celle-ci se trouve d’autant plus sollicitée que le scénario a été pensé pour la stimuler, l’asticoter. Lorraine les Bains ne s’est pas contentée d’avoir une idée culottée.
Humour absurde
Son vocabulaire graphique volontiers minimaliste, elle l’a mis au service d’une intrigue malicieuse qui se joue de nous. A partir d’un fait divers (l’assassinat du chanteur Waldo Maelfait, improbable croisement entre un pseudo Patrick Sébastien et un bad boy comme le fut JoeyStarr), elle enchaîne rebondissements, sauts dans le passé et pas de côté. Seul le travail attentif de détectives en herbe permet de comprendre ce qui lie certaines personnes ou les implications de telle scène.
Livré en plusieurs pièces de puzzle, le récit prend donc tout son sens une fois qu’elles sont toutes assemblées (ce qu’une seconde lecture permet assurément). Cependant, pas de danger que la lecture soit aride ou peu gratifiante. Jusqu’à la révélation finale, l’humour absurde de Lorraine les Bains – pas si loin de celui de son pote Fabcaro – et le regard acéré qu’elle jette sur nos travers donnent envie de s’immerger dans ce livre audacieux, aussi désincarné que désopilant et troublant.
Waldo (Editions Lapin), 128 p., 19 €
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