L’histoire de la logique et du mathématicien Bertrand Russell dans un passionnant roman graphique mené par Apostolos Doxiadis et Christos Papadimitriou.
Peu répandue, la bande dessinée de nonfiction est souvent passionnante. En témoignent les saisissants reportages de Joe Sacco, Une histoire populaire de l’empire américain d’après l’historien Howard Zinn ou encore L’Art invisible, essai sur la BD de Scott McCloud. La mise en scène narrative offre clarté et dynamisme et permet de rendre abordables des sujets qui resteraient sinon réservés aux spécialistes. Qui irait se plonger dans un essai sur le mathématicien Bertrand Russell (1872-1970) et l’histoire de la logique ? Des milliers de lecteurs anglo-saxons de Logicomix, un improbable best-seller.
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Logicomix aborde pourtant de front un sujet éminemment sérieux et pas facile d’accès : la quête des fondements des mathématiques au début du XXe siècle. Théorie des ensembles, paradoxe de Russell, théorème d’incomplétude… Bien que ces sujets complexes, qui firent l’objet d’âpres débats, soient expliqués au cours du récit, Logicomix n’a rien de rebutant.
Avec son allure de roman graphique ligne claire, il se lit comme un captivant livre d’aventures. Bertrand Russell est le narrateur et le fil conducteur de ce récit qui fait découvrir toute une galaxie de mathématiciens dont les idées ont nourri la science : Kurt Gödel, Gottlob Frege, Henri Poincaré, Georg Cantor, Ludwig Wittgenstein…
Les scénaristes Apóstolos Doxiàdis et Christos Papadimitriou ont choisi de ne pas dissocier l’explication des concepts mathématiques de la vie privée des chercheurs. Malgré la place immense qu’occupait la recherche intellectuelle dans leur existence, ces scientifiques vivaient intensément, parfois tragiquement : on découvre les aventures galantes de Bertrand Russell, l’engagement volontaire de Wittgenstein dans l’armée austrohongroise lors de la Guerre de 14-18, l’assassinat de Moritz Schlick, victime de la montée du nazisme… Nombre d’entre eux ont aussi côtoyé la folie. Ancrant la théorie la plus abstraite dans la réalité la plus prosaïque, les scénaristes donnent au récit ressort dramatique et rythme.
Les auteurs ont aussi fait le choix de se mettre régulièrement en scène pour montrer leur travail et leur réflexion. En offrant au lecteur la possibilité de s’identifier à ces personnages “normaux” qui s’interrogent sur la définition de la tautologie, ils dédramatisent les difficultés de compréhension et permettent de prendre du recul.
Cette mise en abyme apporte également une respiration bienvenue dans un récit parfois ardu. On pourra reprocher les quelques libertés prises par les auteurs avec la vérité historique (ils s’en expliquent en appendice), mais ils restent toujours respectueux des idées et leur vulgarisation n’est jamais une trahison. Grâce à leur effort de clarté et à une narration limpide, ils rendent abordables des idées rares, fournissent de nombreuses pistes de réflexion et aiguisent la curiosité. CQFD.
Logicomix, par Apóstolos Doxiàdis, Christos Papadimitriou, Alecos Papadatos, Annie Di Donna (Vuibert), 352 p., 22,50 €
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