Publié le 8 mai 1968, ce roman met en scène un soixante-huitard au… XVIe siècle.
Dans les traités d’alchimie, l’œuvre au noir désigne la dissolution du plomb, première des trois phases nécessaires à sa transformation en or. “On discute encore, explique Marguerite Yourcenar dans une “Note de l’auteur” insérée à la fin de son livre, si cette expression s’appliquait à d’audacieuses expériences sur la matière elle-même ou s’entendait symboliquement des épreuves de l’esprit se libérant des routines et des préjugés.”
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Se libérer des routines et des préjugés, c’est la tâche à laquelle s’emploie Zénon, un philosophe, médecin et alchimiste, personnage principal de L’Œuvre au noir. Dans un XVIe siècle tourmenté, cet homme pauvre, enfant illégitime et homosexuel, lutte contre la bêtise, les superstitions et l’obscurantisme.
Zénon est un contestataire qui se bat à la fois contre la religion et les forces politiques, et commence sa vie par voyager à travers le monde pour se trouver lui-même. Au cours de son périple, il va pratiquer la méditation en Inde. De retour en Europe, condamné au bûcher par un tribunal religieux, il finit par se suicider.
Une critique de toutes les sociétés, selon son auteure
A l’automne 1968, L’Œuvre au noir a obtenu le prix Femina à l’unanimité. Yourcenar l’a toujours soutenu : son roman parlait du temps présent. “Si j’aime Zénon comme un frère, c’est parce que je vois à quel point ce qu’il vit se rapproche de ce que nous vivons”, explique-t-elle en interview.
A un journaliste qui lui demande s’il faut voir dans ce roman “une critique de notre société”, elle répond sans ambages, avec cette force sereine qui la caractérise : “Oui, et de toutes les sociétés.”
De plus, explique-t-elle aussi, le monde qu’elle décrit, séparé entre catholiques et protestants, est proche de celui où elle vit, coupé en deux par un rideau de fer. “Ce qui au fond est exactement la même chose. Il y a des intérêts politiques dans les deux cas, contre lesquels Zénon ne peut pas lutter.”
Des années plus tard, à Bernard Pivot venu l’interviewer dans sa petite île du Maine où elle s’est réfugiée, elle dira : “Les Mémoires d’Hadrien avait été écrit en 48, et comme toujours après une guerre il y a ce moment de relèvement dans lequel on se dit que la raison et la sagesse vont peut-être triompher. Tandis que L’Œuvre au noir a été écrit entre 60 et 65. On voyait déjà craquer beaucoup de choses.”
L’Œuvre au noir (Folio), 480 p., 8,90 €
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