Quand les vacances virent au BAD TRIP : une sélection de livres vous montre que vous avez peut-être échappé au pire. Et d’abord, trois romans avertis qui mettent en garde contre les risques de parasitage du couple : belle-mère, amant ou inconnu.
On est le 27 juillet. Après trois alertes à la canicule, une panne de clim au bureau, un malaise vagal de la voisine, le jour de délivrance arrive enfin : votre départ en vacances. Tandis que votre conjoint(e) inflige une OD de bagages au coffre de la voiture, vous faites un dernier tour d’appartement, enduisant déjà vos avant-bras de crème solaire.
C’est là que votre téléphone (fixe) sonne (vous aviez pourtant pris soin de couper votre portable en prévision d’un appel inopportun de votre boss-qui-n’a-jamais-vu-de-plage-de-sa-vie) : vous décrochez, le coeur battant, prenant vaguement conscience des miaulements du chat que vous aviez oublié sous le lit. Deux minutes plus tard, vous apprenez à votre conjoint(e) ce que vous-même avez encore peine à réaliser : votre belle-mère s’incruste dans sa maison des Sables-d’Olonne qu’elle avait consenti à vous prêter pour l’été.
Il s’agit de votre belle-maman, mais cela pourrait être au fond n’importe qui : depuis toujours, l’été favorise l’apparition de la tierce personne, famille ou ami, inventée pour ruiner votre couple sur fond d’océan. Que ce soit par le biais de la triangulation amoureuse ou du simple parasitisme familial, l’affolement des thermomètres, adjoint à la vacuité de l’été, a le don d’attirer les agitateurs et autres trublions du bonheur conjugal.
A l’attention des plus sceptiques, qui se tamponnent le coquillard des prédictions d’une journaliste (frustrée ? Mal intentionnée ? Qui n’a pas encore trouvé de maillot de bain à sa taille ?), la littérature offre quelques preuves indiscutables des dangers du triolisme soft estival : désir déboussolé, couple en crise, vacances idylliques qui tournent au fiasco.
En procédant par indice de risque, force du danger, on est tenté de commencer par le roman d’une experte en vacances ratées. Des Petits Chevaux de Tarquinia à Dix heures et demie du soir en été, personne n’égale Marguerite Duras dans le domaine du couple qui vrille, de l’alcool qui fracasse, du soleil qui tue. Sur fond, toujours, de décor édénique. Le second roman cité introduit trois adultes (une femme, son mari et la maîtresse de celui-ci) et un enfant, en transit dans un micro village castillan où vient d’avoir lieu un crime passionnel : un homme a tué sa femme et son amant.
Une chasse à l’homme nocturne s’organise alors sur les toits de la ville, tandis que nos trois voyageurs se toisent en regards alanguis et souffrants. Entre manzanillas à gogo et orages infinis, Duras établit qu’il n’y a pas de couple sans la médiation d’un troisième larron : c’est un état de fait, aussi vrai que le choix (a priori délirant) de traverser l’Espagne en toute infidélité. A l’aube, les cartes sont brouillées : la femme a répondu à l’adultère du mari par celui qu’elle commet à son tour, sous la double félicité du cognac et d’une étreinte dans un grand champ de blé.
Douceur du cosmos, caresse du vent, petits grains de sable dans vos cheveux super gold : comme Cécile dans Bonjour tristesse, vous avez 17 ans, vous passez l’été avec votre père, dans une grande villa blanche sur la Méditerranée. Votre père est beau mal rasé, il est aussi infiniment drôle, léger, charmeur, inconstant, et surtout, “veuf depuis quinze ans”. Du coup, eh bien oui, il vous arrive parfois de confondre en pensée la figure paternelle avec celle de l’amant.
Dans cette exquise et amère chronique oedipienne, premier roman de Sagan, l’été paradisiaque entre l’héroïne et son père va être troublé par l’arrivée d’une nouvelle conquête de celui-ci. Une femme belle, morale, altière, qui ne tarde pas à faire valoir son statut de marâtre et renvoie l’adolescente à ses dissertations sur Bergson. Mais Cécile ne se laisse pas faire, bien décidée à pourrir cet amour qui lui a volé son père, l’été, la lumière caressante du soleil tombant à travers les pins. Et au bout du bois, se trouve une route dangereuse, propice aux accidents de voiture…
Eviter de partir en vacances avec votre belle-mère (au double sens du terme), ou avec l’amant(e) de votre conjoint(e), cela va sans dire. Là où la situation se corse, c’est quand l’intrusion du défaiseur de couple prend les traits d’un délicieux jeune homme, spirituel et bien peigné. Tom Ripley, ça vous dit quelque chose ? Avant d’être incarné par Delon, puis par Matt Damon, au cinéma, ce héros “amoral” (sorte d’ancêtre de Dexter) a réinventé la notion de bien et de mal dans les polars de Patricia Highsmith.
Chargé ici par un riche homme d’affaires de surveiller son fils, Tom Ripley s’invite en Italie, dans la maison de villégiature du jeune millionnaire et de sa chérie. D’une amitié naissante entre les deux garçons, on ne va pas tarder à basculer dans la fascination amoureuse, et ce jusqu’au désir de substitution – Highsmith trouvant là le parfait agencement entre crime (presque) parfait, trouble de la personnalité multiple et amour fou.
Cet ultime et sanglant trio amoureux ne nous enseigne pas seulement qu’à l’avenir il faudra apprendre à se méfier de tous nos amis au sourire blanc et au polo Ralph Lauren. De manière imminente, il vous intime de quitter l’appartement, en laissant le téléphone sonner, là, maintenant, tout de suite. N’oubliez pas le chat. Bonnes vacances.
Dix heures et demie du soir en été de Marguerite Duras (Folio), 156 pages, 4 €
Bonjour tristesse de Françoise Sagan (Pocket), 154 pages, 4,60 €
Monsieur Ripley de Patricia Highsmith (Le Livre de Poche), 320 pages, 6,50 €