De Verlaine à Hemingway, en passant par Fitzgerald ou Bukowski, l’histoire littéraire est pleine d’auteurs-buveurs. Le récit de beuverie est même devenu un genre littéraire à part entière.
Boit-on pour oublier, pour écrire ou pour le plaisir ? L’Anglais Kingsley Amis “n’a rien à répondre (…) aux sérieuses spéculations sociologiques sur le pourquoi du comment des excès de boisson”. Il préfère s’en remettre à l’adage irlandais : “On boit parce qu’on a soif, ou pour ceci, ou cela, ou pour n’importe quelle autre raison.” Pilier de pub, satiriste acerbe et père de Martin Amis, “The King” s’est éteint en 1995.
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Aujourd’hui, les Editions des Equateurs traduisent Notre verre quotidien, une encyclopédie éthylique et drolatique dans laquelle l’auteur compile ses chroniques de soiffard averti et dispense des conseils aux cuitards apprentis (Contre la gueule de bois ? “Faites de l’aéroplane pendant une demi-heure”). En fin d’ouvrage, le flegmatique Britannique propose même un quiz aussi délirant qu’enivrant pour tester nos connaissances (et montrer les siennes). Un vrai “Questions pour un pochetron” !
Descente aux enfers
Art de vivre chez Amis, la boisson se retrouve en dépendance destructrice chez Jonathan Ames. Et l’écriture, acte comique et érudit chez le premier, se fait cathartique et introspectif dans Alcoolique, le premier roman graphique du second. Connu pour ses pulp fictions et sa série géniale Bored to Death, l’auteur, épaulé par le dessinateur Dean Haspiel, raconte la descente aux enfers de Jonathan A., un écrivain bordélique et alcoolique pas si anonyme.
Ici, Ames croque les premières cuites d’adolescent, le deuil soigné au goulot, les désillusions au goût de bourbon et la spirale de l’addiction. “Un jour, j’ai lu quelque chose à propos du péché de destruction. C’est sans doute ce qui provoque ma culpabilité, je pèche contre moi-même, contre une part de ma personne qui ne veut pas mourir.” Sans révolutionner le genre, l’auteur, qui a la grâce inquiétante des âmes damnées, analyse avec une lucidité tranchante la nature de son vice et décortique sans pathos les mécanismes de la dépendance : culpabilité, haine de soi et pulsions de mort.
Séjours en institutions
Ces mêmes mécanismes tragiques, on les retrouve dans certains passages autobiographiques de Du bonheur d’être morphinomane, recueil de nouvelles d’Hans Fallada exhumé par les éditions Denoël. Auteur culte et drogué incurable, Fallada multiplia les séjours en institutions avant de mourir prématurément en 1947. Emprisonné en août 1944, il rédige Le Buveur dans lequel il met en scène Erwin Sommer, son double de papier déglingué.
En mariant la bio de l’auteur au récit de la déchéance de son héros, l’illustrateur Jakob Hinrichs esquisse dans l’album Hans Fallada – Vie et mort du buveur un portrait graphique et toxique de l’artiste, et sublime les démons de l’autodestruction qu’il lie à la fièvre créatrice et aux affres de l’inspiration. A consommer sans modération.
Notre verre quotidien de Kingsley Amis (Editions des Equateurs), traduit de l’anglais par Elisa Rodriguez, 316 pages, 23 €
Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanny Soubiran, 144 pages, 22,50 €
Du bonheur d’être morphinomane d’Hans Fallada (Denoël & d’Ailleurs), traduit de l’allemand par Laurence Courtois, 352 pages, 22 €
Hans Fallada – Vie et mort du buveur de Jakob Hinrichs (Denoël Graphic), traduit de l’allemand par Laurence Courtois, 176 pages, 23,90 €
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