Littérature et psychanalyse entretiennent des liens étroits, se nourrissent l’une l’autre. S’affrontent parfois. De là à considérer la fiction comme une thérapie… Attention au transfert !
« Au train où vont les choses, ce seront bientôt les critiques littéraires qui rendront compte des livres des psychanalystes et les revues spécialisées de psychanalyse qui évalueront les romans désarticulés, disloqués d’aujourd’hui. » L’article que vous avez sous les yeux est la preuve que Jean-Bertrand Pontalis, psychanalyste et écrivain, avait vu juste. La citation est extraite d’un échange passionnant avec Michel de M’Uzan paru en 1977 dans la Nouvelle revue de psychanalyse et réédité aujourd’hui dans Le Laboratoire central, qui réunit neuf entretiens et exposés de Pontalis. Oui, les liens presque incestueux entre psychanalyse et littérature ne cessent de se resserrer. Au point qu’aujourd’hui les romans écrits par des psychanalystes ou ceux qui prennent la psychanalyse pour objet abondent.
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Pour n’en citer que quelques-uns, on pense évidemment à Portnoy et son complexe de Philip Roth, à Marilyn, dernières séances de l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider ou encore au premier roman de Julia Deck, paru à la rentrée, Viviane Élisabeth Fauville, l’histoire d’une femme qui tue son psy. Psychanalyse et littérature visent un même objet – la complexité de l’âme humaine, ses zones troubles, obscures – et usent toutes deux du langage pour y parvenir. L’inconscient, on le sait, est structuré comme un langage, pour reprendre la formule fondatrice de Lacan. Comme le rappelle le livre coécrit par Edmundo Gómez Mango et J.-B. Pontalis, Freud avec les écrivains, qui paraît en même temps que Le Laboratoire central, la littérature se trouve aussi aux origines mêmes de la psychanalyse. Freud s’est appuyé aussi bien sur Shakespeare, Goethe, E.T.A. Hoffmann – « l’inquiétante étrangeté » – ou Dostoïevski pour élaborer sa théorie.
Malgré leur indéniable proximité, littérature et psychanalyse entrent parfois en conflit. Un bon psychanalyste ne fera pas forcément un bon écrivain. De même, la psychanalyse appliquée à la littérature ne donne pas toujours des résultats très concluants. Pour Pontalis, « ça dit toujours à peu près la même chose : OEdipe et compagnie. Chez Dostoïevski comme chez Guy des Cars ». Mais le pire reste la confusion des genres, ces écrivains qui s’épanchent sur eux-mêmes, dissèquent la relation avec leur père, leur mère, leur chien, comme ils le feraient sur un divan. On peut voir dans cette tendance les effets conjugués de la vulgarisation de la psychanalyse et d’un dévoiement de l’autofiction.
Indissociable de ce genre littéraire, Christine Angot rappelait fort à propos dans un texte publié récemment dans la presse :
« Étant donné que l’écriture fait disparaître toute forme de souffrance, ce n’est pas thérapeutique du tout, au contraire, au moins quand vous souffrez vous savez que vous avez vécu quelque chose, alors que là… vous ne savez plus. »
Écrivain ou lecteur, on ne demande pas à la littérature de nous « guérir » – rien de pire que l’argument de vente « Ce livre devrait être remboursé par la Sécurité sociale » – mais une parole qui vient nous « saisir à la fois de très loin et de tout près », comme l’écrit Pontalis.
Le Laboratoire central de J.-B. Pontalis (Éditions de l’Olivier, collection « penser/rêver »), 228 pages, 18 €; Freud avec les écrivains d’Edmundo Gómez Mango et J.-B. Pontalis (Gallimard), 400 pages, 21 €.
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