La grande Didion, figure du New Journalism, s’en est allée en décembre dernier. Écrits entre 1968 et 2000, les textes réunis ici révèlent les mécanismes de son écriture et comment elle est devenue elle-même.
Joan Didion est une légende. Figure de proue du Nouveau Journalisme, elle a su mêler exigence journalistique, exigence littéraire et glamour californien 70’s (robe longue, voiture longue, cigarette longue…), et aura excellé à parler de l’Amérique underground, de ses mouvements contre-culturels, en apnée, de l’intérieur. Elle est morte le 23 décembre dernier, à 87 ans.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour tout vous dire est le dernier recueil de ses textes à être paru de son vivant, l’année dernière, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, sous le titre Let Me Tell You What I Mean. C’est à cette occasion que celle qui ne donnait plus d’interviews avait accepté de parler une dernière fois, au Guardian. Elle était extrêmement drôle, ne répondant qu’en un ou deux mots.
Comme si tout cela n’avait plus d’importance, comme si elle avait déjà tout dit, du moins l’essentiel. Dans les chroniques de L’Amérique par exemple, ou dans ses romans, dont le génial Maria avec et sans rien, et dans ses livres plus personnels de “reportage” sur soi, d’enquête sur ses sentiments, à travers le deuil de son mari, puis de sa fille, L’Année de la pensée magique et Le Bleu de la nuit. Et dans certains des textes de ce nouveau recueil.
Sous une apparente simplicité, l’écriture de Didion, de près, est fascinante
Entre rêve et réalité prosaïque
Si ceux sur Nancy Reagan ou sur les Joueurs anonymes ne sont pas les plus nécessaires, ils portent tout de même en eux la marque du style Didion : un certain détachement mélancolique, une attention quasi extralucide aux détails, une façon de dire c’est comme ça et voilà tout. On peut aussi lire directement les textes les plus personnels, qui sont les plus forts.
“Une visite à Xanadu” nous livre son rosebud, une image magique de l’enfance (elle est née et a grandi à Sacramento) qui permet d’y retourner et de faire revivre l’âge d’or hollywoodien : San Simeon, la folie imaginée et habitée par William Randolph Hearst, où il avait aménagé un zoo et recevait toutes les stars. “Les enfants de Californie entendaient parler de San Simeon dès leur plus jeune âge (je le sais parce que je fus l’une d’eux) ; on leur disait de la guetter sur la Route 1, dans le lointain, perchée sur la colline, les grandes tours et les remparts mauresques scintillant au soleil ou flottant de manière irréelle au-dessus de la brume côtière ; San Simeon était un endroit qui, une fois aperçu depuis la route, restait gravé à jamais dans la mémoire.” À la fin, alors qu’elle est adulte, Didion se mêle à un groupe de touristes pour visiter la propriété – désertée, elle est devenue une attraction –, et découvre que la magie s’en est évaporée.
C’est l’une des particularités du style Didion : cette friction entre rêve et réalité prosaïque, quand le film se mue sous nos yeux en coulisses, où ont été oubliés quelques décors en carton-pâte. Sous une apparente simplicité, l’écriture de Didion, de près, est fascinante. On y découvre une finesse, et toujours la remarque, le mot d’une justesse inouïe.
Ne pas vouloir être un·e autre que soi
Il faut lire “Pourquoi j’écris”, qui nous fait pénétrer dans le petit laboratoire de Joan Didion – ou plutôt dans son esprit. Mais c’est la même chose, car c’est la façon dont il fonctionne qui va conditionner l’écriture.
Un esprit peu enclin à l’abstraction, plutôt attiré par le tangible : “Je m’efforçais de contempler la dialectique hégélienne mais finissais par me concentrer sur un poirier en fleur derrière ma fenêtre et sur la façon singulière dont les pétales tombaient à terre.”
“Quand je parle d’images mentales, je parle, pour être précise, d’images dont le pourtour scintille.”
Didion a le don de l’observation. Son message à l’adresse de celles et ceux qui veulent écrire : ne pas vouloir être un·e autre que soi, accepter ses limites et les faire fructifier. “Tout ce que je savais à l’époque, c’était ce que je n’étais pas, et il m’a fallu quelques années pour découvrir qui j’étais. C’est-à-dire un écrivain.” Et un certain type d’écrivaine.
Didion commence par une image en tête : “Quand je parle d’images mentales, je parle, pour être précise, d’images dont le pourtour scintille.” Après, “vous les laissez tranquillement venir et se développer. Vous ne faites aucun bruit. Vous ne parlez pas à beaucoup de gens.” Enfin, “c’est l’image qui vous dit comment disposer les mots et c’est la disposition des mots qui vous dit – qui me dit, en tout cas – ce qui se passe dans l’image. Nota bene : C’est elle qui vous dit. Pas vous qui la dites.”
Pour tout vous dire de Joan Didion (Grasset), préfacé par Chantal Thomas et traduit de l’anglais
(États-Unis) par Pierre Demarty, 220 p., 17 €. En librairie.
{"type":"Banniere-Basse"}