Pire qu’une injustice, la décision gouvernementale de fermer librairies et disquaires est une erreur majeure, qui entérine le sacrifice de la culture en ces temps où elle nous est pourtant indispensable.
Ce que l’on croyait acquis à la fin du premier confinement, face à l’explosion de la fréquentation et des ventes en librairie, c’est que celles-ci devraient être classées “commerces essentiels” si un prochain confinement se profilait. Or, ça n’a pas été le cas, et depuis le 30 octobre, les protestations se multiplient et la colère monte : prix littéraires, dont le prestigieux Goncourt, reportés, pétition initiée par l’animateur de La Grande Librairie, François Busnel, et les syndicats du livre et de la librairie, tribunes à répétition dénonçant l’autoroute inouïe ouverte à Amazon ; et depuis quelques jours, Anne Hidalgo, maire de Paris, et plusieurs autres maires de France qui viennent d’annoncer qu’ils autoriseraient les librairies indépendantes à rouvrir.
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En réponse, le gouvernement d’Emmanuel Macron a décidé d’interdire aux grandes surfaces et aux magasins Fnac la vente de livres, une conséquence de plus sur l’édition et qui ne fera que renflouer les caisses de l’homme déjà le plus riche du monde, Jeff Bezos, qui se fiche bien de la littérature, comme de pas mal d’autres choses essentielles d’ailleurs. Tout cela au détriment des librairies indépendantes, cette quasi-exception française au même titre que le prix unique du livre, qu’il est essentiel de sauvegarder.
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Une erreur majeure
Même si les librairies s’organisent pour continuer à vendre des livres en “click and collect”, il ne fallait pas leur imposer de fermer. C’est même une erreur majeure. Pas seulement parce que la littérature nous aide d’autant plus à vivre, à penser, à apprendre, à imaginer, à être critique en ces temps anxiogènes, mais parce que fermer les librairies, c’est fragiliser le concept même, crucial, de librairie indépendante, et favoriser, à terme, l’émergence de grands groupes qui auraient intérêt à voir disparaître le prix unique du livre, en faisant dès lors un produit comme les autres.
On peut argumenter qu’il ne s’agit que de fermer les librairies pendant quelques semaines, mais personne ne sait, à ce jour, combien de temps cette pandémie va durer. Personne ne sait combien de confinements nous allons encore devoir traverser. Dans quel état se trouvera la librairie indépendante après des mois de fermeture pendant… deux ans ? Cinq ans ?
Sauvegarder la librairie indépendante
Non, nous ne décrivons pas un scénario de science-fiction. C’est déjà arrivé : dans les années 1980 et l’Angleterre de Margaret Thatcher, qui a ouvert le marché du livre au capitalisme sauvage en supprimant le Net Book Agreement (l’équivalent de notre prix unique du livre), permettant à chaque lieu de vente d’acquérir le droit de casser le prix d’un livre selon une concurrence plus que déloyale. Celle-ci a très vite eu raison des petites librairies indépendantes, balayées par l’arrivée de chaînes mastodontes (l’anglaise Waterstones, les américaines Barnes & Noble et Borders) au pouvoir économique bien supérieur.
Conséquence directe : un impact sur l’édition. De plus en plus cynique, alignée sur les impératifs financiers de ces grosses librairies, celle-ci se concentre sur les gros vendeurs – pas forcément les meilleur·es auteur·trices, donc – au détriment d’écrivain·es plus exigeant·es.
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Sauvegarder la librairie indépendante, composée de libraires passionné·es, qui ne cherchent pas à faire du chiffre quoi qu’il en coûte mais à défendre une idée de la littérature, une variété des genres et des styles, à conseiller et transmettre leur amour des livres, c’est sauvegarder une édition de qualité, un travail éditorial varié, intelligent, de conviction. C’est protéger les écrivain·es, leur donner l’assurance d’être édité·es même s’ils·elles ne rencontrent pas un lectorat de masse, et cela sans voir leurs livres, sinon eux·elles-mêmes, formaté·es par des éditeurs ou des agents mercantiles.
Une certaine idée de la liberté d’écrire
C’est donc tout un système – et à travers lui, la qualité et l’exigence de la vie littéraire et intellectuelle du pays – que la fermeture des librairies indépendantes pourrait, et risque fort, d’impacter. Or il faut plutôt soutenir une certaine idée de la liberté d’écrire, de publier et de lire, de choisir parmi un vaste éventail de publications, sans être réduit·es à acheter le dernier best-seller. Il faut faire en sorte que la littérature et la pensée ne deviennent jamais des produits à consommer ni à liker.
Il serait si facile de maintenir les librairies ouvertes, lieux où il est plus aisé qu’ailleurs d’assurer un protocole sanitaire – port du masque obligatoire, pas plus de trois ou quatre personnes à l’intérieur –, voire de mettre en place des créneaux horaires à réserver. Pourquoi s’en priver ?
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