En racontant la vie d’un authentique sniper américain mais aussi celle de son assassin, L’homme qui tua Chris Kyle documente deux faces de l’Amérique.
“On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende devient réalité, on imprime la légende.” : c’est en ouvrant sur cette citation, tirée du film de John Ford L’homme qui tua Liberty Valance (1962), que Fabien Nury et Brüno soulignent la porosité entre mythe et réalité. Quelques pages plus loin, 160 tombeaux schématisés en rouge rappellent comment Chris Kyle a accédé au statut de légende américaine.
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Tireur d’élite aux performances historiques après quatre séjours en Irak, il a été incarné au cinéma par Bradley Cooper dans American Sniper (2015), plus gros succès commercial de Clint Eastwood comme cinéaste. L’acteur-réalisateur y abordait à peine la fin tragique de Kyle, abattu par un Marine, Eddie Ray Routh, que lui et son pote Chad avaient emmené au champ de tir.
Le parcours d’un loser bousillé
Depuis Vintage et badass, hors-série de Tyler Cross détaillant leurs influences directes, on sait Nury et Brüno cinéphiles. Ici, on jurerait qu’ils ont eu en tête le western L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007).
Plutôt que de glorifier Kyle le sniper, ils exposent le parcours de Routh, loser rentré bousillé d’une mission humanitaire en Haïti, antihéros abandonné à son stress posttraumatique et ses addictions. Mais cette BD coup-de-poing n’oppose pas – Kyle est de toute façon ambigu, voire détestable – et déroule son fil d’événements improbables. Par exemple, Taya, la veuve de Kyle, est attaquée en justice par un homme prétendument diffamé par son mari.
La force de L’homme qui tua Chris Kyle vient de sa volonté de développer un point de vue par le biais d’une voix off sobre tout en s’appuyant sur des témoignages, matière brute et malléable sous les doigts des auteurs. Dans des planches taillées au cordeau, Brüno reconstitue des entretiens donnés par les divers protagonistes – sur Fox News ou CNN – et reproduit les images tournées par la police.
Répétant certains plans comme des motifs inquiétants, multipliant les idées graphiques pour appuyer là où ça fait mal, il signe une mise en scène clinique au fort impact visuel. Une BD documentaire comme un western moderne.
L’homme qui tua Chris Kyle (Dargaud), 164p., 22,50 €
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