Doublure nue de Janet Leigh dans la scène de la douche de Psychose, Marli Renfro aurait-elle aussi fini assassinée par un serial-killer ? Robert Graysmith a mené l’enquête dans son formidable « La Fille derrière le rideau de douche ».
C’est l’une des scènes les plus iconiques de l’histoire du cinéma : Janet Leigh poignardée à de multiples reprises sous la douche dans Psychose. Cette seule scène requit à Hitchcock sept jours de tournage, et une doublure nue pour Janet Leigh qui refusait d’être filmée en costume d’Eve. La « fille derrière le rideau de douche » s’appelait Marli Renfro, une jolie rousse de 21 ans qui ferait peu après, en 1960, sa première couverture pour Playboy. Parce que ça ne lui posait aucun problème d’être nue, même dans un temps où la morale la plus puritaine sévissait encore : Marli est déjà une adepte du nudisme, de la liberté sexuelle, et va s’afficher en pin-up décoincée dans pléthore de magazines de charme. Elle ne sera pas créditée au générique de Psychose, et Janet Leigh, qui la traite avec froideur pendant le tournage, niera avoir été doublée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
http://www.dailymotion.com/video/x7rq7m_psychose-alfred-hitchcock-1960-scen_shortfilms
En 1960, le jeune Robert Graysmith épingle la couverture de Playboy où Marli pose de dos sur les murs de sa chambre et se met à fantasmer : sur la couve copiant un puzzle reconstitué manque une pièce. Quelle est cette pièce manquante ? Qui est vraiment « la fille derrière le rideau de douche », qui disparaît des écrans et des magazines quelques mois plus tard et réapparaît à la fin des années 80 sous la forme d’un mystère encore plus grand ? En 1988, une certaine Myra Davis, qui serait le vrai nom de Marli Renfro comme l’affirment les journalistes, est retrouvée étranglée. Des émissions de radio, de télé, et des livres seront consacrés à son assassinat. Le 7 novembre 2001, la nouvelle tombe : « Un réparateur reconnu coupable d’avoir étranglé deux femmes, dont l’actrice qui doublait Janet Leigh dans Psychose d’Alfred Hitchcock, a été condamné à la prison à vie. »
Les années ont passé mais Robert Graysmith n’a pas oublié la jolie playmate qui l’avait fait rêver :
« Marli avait apparemment eu le même destin que celui de son rôle dans Psychose. J’ai pensé que le moins que je pouvais faire, c’était de retracer sa disparition et révéler son rôle caché dans Psychose, tenu secret par le studio qui voulait faire croire au public qu’il s’agissait de Leigh durant toute la scène, alors qu’on ne la voit que sur les gros plans de visage. Marli avait vraiment réalisé le difficile ballet des 90 secondes les plus brillantes de l’histoire du cinéma, avec Hitchcock tenant un couteau sous la douche. Je voulais raconter cette histoire, dans toute son ironie », explique Graysmith.
En 1986, il a déjà publié Zodiac (suivi de Zodiac Unmasked) qui sera adapté à l’écran en 2007 par David Fincher : comment un journaliste, obsédé par un serial-killer jamais attrapé faute de preuves, rouvre le dossier, enquête de son côté, trouve la faille et parvient à le faire condamner. Il y racontait sa propre histoire et n’a plus cessé, depuis, de rouvrir des affaires classées et d’en faire des livres. En 2006, Graysmith se penche sur toutes les archives concernant le meurtre de Myra Davis, dont le livre qui lui est consacré, Body Double, où la petite-fille de la victime rapporte : « Ma grand-mère avait beaucoup aimé travailler avec Janet Leigh… elle était la doublure lumière de Janet. » Et elle ajoute : « Ma grand-mère n’aurait jamais tourné nue. Non, non, non, ce n’était pas ma grand-mère. » Le tueur se serait-il trompé de doublure ? Il suffit à Graysmith d’acquérir le fameux numéro de Playboy sur eBay pour retrouver Marli Renfro, bel et bien vivante, et n’ayant jamais entendu parler de sa prétendue mort.
Ce qui fascine dans La Fille derrière le rideau de douche, c’est ce constant jeu de miroir et de reflets que Graysmith, en vrai fan du Laura d’Otto Preminger et du Vertigo d’Hitchcock, met habilement en scène : jeu de miroir entre les femmes, entre les hommes, entre les femmes et les hommes. Dans le fait divers qui a inspiré Robert Bloch pour écrire son roman Psychose, adapté par Hitchcock en 1960, le serial-killer avait non seulement tué sa mère, mais l’avait dépecée, et revêtait sa peau tannée pour commettre ses meurtres – et dépecer aussi le corps de ses victimes.
« La silhouette de la mère derrière le rideau de douche était celle d’Ann Dore, une actrice non créditée au générique »
Alfred Hitchcock, qui avait incarné ses propres inhibitions sexuelles dans l’armure d’élégance et les tailleurs sanglés de ses « blondes hitchcockiennes », ne pouvait être que fasciné par cette histoire d’homme frustré habillé en femme, et par l’idée de double personnalité sur laquelle elle reposait, qui semble se répercuter à travers tout son film. Non seulement Janet Leigh aura une doublure nue, mais pour cette même scène, Hitchcock imposera à Anthony Perkins d’avoir pour doublure… une femme. Une cascadeuse de 24 ans, Margo Epper, que l’on voit apparaître couteau en main. « J’ai travaillé plusieurs fois avec la doublure de Perkins, toujours dans la douche, a raconté Marli. Mais je n’ai découvert que plus tard que la doublure d’Anthony avait elle-même une doublure. » Et Graysmith ajoute : « La silhouette de la mère derrière le rideau de douche était celle d’Ann Dore, une actrice non créditée au générique (…). Et il y avait encore une autre doublure pour le personnage de la mère : Mitzi, une naine utilisée pour les vues plongeantes dans l’escalier de la maison Bates. »
Hitchcock aussi, d’une certaine manière, se fait doubler : il demande à Saul Bass, qui conçoit le générique du film, de faire le story-board de la scène de la douche. Pour tester ses idées, Bass la tournera de son côté avec Myra Davis, la doublure lumière de Leigh, et fera par la suite croire qu’il est le seul véritable auteur de la scène. Enfin, dans son livre, Graysmith met en parallèle le meurtrier de Psychose – le vrai et celui de cinéma – avec un autre serial-killer, Sonny (sosie d’Anthony Perkins !), également hanté par sa mère, qu’il hait – ayant lui-même pour double un autre tueur, sévissant en même temps, « l’Etrangleur à la balle », obsédé par les septuagénaires.
« J’ai voulu écrire tout le livre à la façon dont Hitchcock a fait son film »
Graysmith alterne les chapitres où il retrace la vie de Marli Renfro avec ceux où il nous donne à suivre Sonny : ces deux-là passent leur temps à se croiser dans Los Angeles. Vont-ils se rencontrer ? L’écrivain maintient un suspense digne d’Hitchcock lui-même : est-ce Sonny qui, des années plus tard, tentera de tuer Marli Renfro ? « J’ai voulu écrire tout le livre à la façon dont Hitchcock a fait son film, nous confie Robert Graysmith. Il dit qu’après la scène de la douche, il entraîne le spectateur vers le jardin : ‘Je dis que quelque chose va arriver, et ça n’arrive pas. Je dis qu’autre chose va se produire, et ça ne se produit pas non plus.’ J’écris chronologiquement, et quand j’ai commencé à écrire sur Marli, j’ai su très vite qu’elle était en vie. Je l’avais compris avant même que mon téléphone ne sonne et que j’entende sa voix me dire : ‘Je suis Marli Renfro, je crois que vous me cherchez. »
Ce qui captive aussi profondément dans La Fille derrière le rideau de douche, c’est le basculement de l’Amérique de la fin des années 50 dans les sixties, comme porteuse elle aussi d’une dualité, d’une forme de « double personnalité » : puritanisme, censure et frustrations d’un côté – qui engendrent nombre de psychopathes – et libération sexuelle de l’autre, encore réservée à la marge mais qui prendra bientôt le dessus. Plonger dans la vie de Marli Renfro, c’est plonger dans l’underground californien ; c’est croiser Hugh Hefner et son équipe, les précurseurs du naturisme, le cinéaste Russ Meyer, la bande de Charles Manson (l’assassin de Sharon Tate), et même Francis Ford Coppola. En 1953, le sexe tente une entrée dans les foyers grâce à la création de Playboy, dont la politique libertaire participera à la levée des tabous concernant la nudité et le sexe.
« Un modèle de femme moderne »
Après sa couverture de septembre 1960, Marli Renfro travaille un temps comme Bunny girl pour le premier Playboy Club à Chicago. En 1960 aussi, l’un des photographes de Playboy, Russ Meyer, réalise son premier nudie, une comédie autour d’un homme frustré qui voit toutes les filles nues : son succès inspire alors un étudiant en cinéma impatient de réaliser son premier film : Francis Ford Coppola. Il engage Marli Renfro pour The Peeper, son propre nudie : « Ses méthodes de travail me faisaient penser à celles d’Hitchcock. C’est un perfectionniste. J’étais sûre qu’il deviendrait quelqu’un, nous confie Marli. Pendant le tournage de son film, je tournais aussi en dehors de Las Vegas un film sur un homme qui a reçu un coup sur la tête et croit voir toutes les filles nues. » Les deux films finiront par n’en faire plus qu’un sous le titre Tonight for Sure!, signé du seul Coppola. « Je pense que le courage et l’audace dont Marli a fait preuve dans ses aventures font d’elle un emblème de cette période de libération, et un modèle de femme moderne », nous dit Graysmith.
Marli Renfro n’a jamais cherché à faire carrière, et a toujours mené sa vie comme elle l’entendait : elle danse à Las Vegas, a des amants, et en 1961, plaque tout pour s’installer dans le désert de Mojave. Aujourd’hui, elle vit avec son mari dans une petite maison au milieu des dunes et des arbres.
Nelly Kaprièlian
La Fille derrière le rideau de douche de Robert Graysmith (Denoël), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuel Scavée, 373 pages, 23,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}