La comédienne et écrivaine Violaine Schwartz a recueilli des témoignages de demandeurs d’asile et s’est attachée à chacun des “mots entendus”. La force de sa démarche et de son écriture leur restitue une histoire.
Des voix. Anonymes, multiples, timides, déchirantes, elles s’accumulent et se répondent. “Et puis il y a eu le pogrom de Soumgaït.” “Il y en a qui ont été jetés dans des bennes, comme des sacs de riz.” “Ils ont commencé à tuer les Noirs.” Elles débordent du livre, et nous envahissent.
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Au départ, il y a eu une commande du Centre dramatique national Besançon Franche-Comté, explique dans un préambule Violaine Schwartz. On lui proposait d’écrire un texte à partir de témoignages d’actuels ou anciens demandeurs d’asile. Une association s’est chargée de lui organiser des rendez-vous avec eux. Puis le projet s’est amplifié, conduisant l’écrivaine à rencontrer toujours plus de réfugiés mais aussi des bénévoles ou une avocate, à lire des montagnes de documents, photocopies de récits de vie, minutes d’entretiens à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, courriers administratifs. De toutes ces expériences est né ce texte tenu, pour lequel elle s’était fixé une contrainte : “Ecrire à partir des mots entendus et seulement à partir des mots entendus.”
Les voix d’hommes et de femmes
La dimension littéraire de ce travail est incontestable. Pour chaque voix retranscrite, Schwartz a su trouver un rythme particulier, une respiration. Car ici tous les mots comptent et le moindre détail est pesé. Jusqu’au lapsus. Ainsi ce très jeune homme qui raconte comment il a été frappé d’une obligation de reconduite à la frontière et mis de force dans un avion pour le Kosovo. Il dit qu’on traite les gens “comme des biches”. Puis se reprend : “Euh, comme des chiens. Je me suis trompé. On dit plutôt comme des chiens, non ?” Mais l’auteure a attrapé le mot et le lecteur garde en tête pendant des heures l’image de l’animal gracile poursuivi par les chasseurs et son œil affolé.
Comédienne, performeuse, écrivaine, Violaine Schwartz est une artiste surprenante. Depuis son premier roman chez P.O.L en 2010, La Tête en arrière, elle multiplie les expériences, composant entre autres des textes pour le théâtre comme J’empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte (2017), des pièces radiophoniques, des spectacles avec des musiciens ou une chorégraphe.
On retrouve ici sa capacité à créer des voix, présente dès son premier livre, un monologue répétitif et obsessionnel, et surtout dans ses pièces de théâtre. Un souci porté au langageet à son essence qui peut s’apparenter à une démarche de poétesse. Dans Papiers, elle transparaît à travers les échos créés d’un témoignage à l’autre mais aussi dans de minuscules interstices que Schwartzse ménage entre les voix des réfugiés. Des instants suspendus où les mots disposés sur la page construisent des calligrammes tantôt aériens, tantôt angoissants.
Dans un pays parallèle
Contrairement à ce qui peut parfois arriver, Schwartz ne pratique pas l’exercice de style brillant mais vain. Son travail très précis sur la langue est au service d’un propos solide et son texte est éminemment politique. Tout a un sens dans ce recueil de témoignages plus terribles les uns que les autres. L’effarant glossaire en début de livre : APMR (arrêté préfectoral de maintien en rétention), CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile), OQTF (obligation de quitter le territoire français) et bien d’autres bizarreries obscures, parfois ridicules : RATATA (refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile). Les deux pages entières d’acronymes qui illustrent mieux qu’un discours didactique l’inextricable forêt administrative dans laquelle se trouve plongé tout nouvel arrivant sur le sol français. Les titres glaçants donnés aux différents témoignages : “Récit de vie n° 1409211219671”, “Récit de vie n° 765893214677700007”.
La clarté concrète de son écriture nous fait d’autant mieux mesurer l’absurdité kafkaïenne de leurs situations
Aussi, ces faits très précis qui soulèvent des questions plus larges, notamment l’immense business mis en place autour des mouvements migratoires. Et, surtout, la sobriété avec laquelle sont retranscrites ces paroles d’hommes et de femmes, demandeurs d’asile qui ont traversé l’horreur et qui la suggèrent en quelques phrases, écrasés par les difficultés qu’ils rencontrent. Elles dépassent l’entendement. Violaine Schwartz a su isoler ces moments où affleure le désespoir, ressenti devant les années qui s’écoulent sans solution imaginable. La clarté concrète de son écriture nous fait d’autant mieux mesurer l’absurdité kafkaïenne de leurs situations. Elle nous plonge sans artifices au cœur d’un système qui conduit à la création d’un pays parallèle, peuplé d’individus réduits à un numéro.
Papiers (P.O.L), 256 p., 17,90 €
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