Quelques éditeurs français curieux et passionnés déterrent depuis quelques années les trésors oubliés de la littérature américaine.
On les appelle « trésors cachés » ou « chefs-d’oeuvre méconnus ». Chaque rentrée littéraire propose désormais son lot d’auteurs morts ou oubliés, de grands noms inconnus des lecteurs francophones : Don Carpenter, Richard Yates, Steve Tesich, Frederick Exley… Leurs romans, pour la plupart parus en langue anglaise il y a quelques décennies, ont récemment connu une seconde vie éditoriale en France, par la grâce de quelques éditeurs fouineurs qui ont exhumé leurs oeuvres des rayons poussiéreux des librairies américaines. Pourquoi maintenant ? Pourquoi eux ?
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Comme l’explique Dominique Bordes, fondateur des éditions Monsieur Toussaint Louverture, tout est d’abord affaire de curiosité :
« N’arrivant pas à trouver de textes français qui me plaisent suffisamment, j’étudie attentivement les revues anglosaxonnes, les interviews d’auteurs que j’aime, les blogs de lecteurs… Je fais un travail de recherche et développement que pas mal de gros éditeurs français négligent, par manque de temps et parce qu’ils se contentent parfois de ce que les agents viennent leur proposer. J’adorerais publier Donna Tartt ou Stephen King, mais c’est trop gros pour moi, donc je déniche des livres à ma portée, j’en sors peu, et j’investis beaucoup dans la traduction, la communication et la promotion. L’étiquette ‘trésor oublié’ apporte un parfum séduisant, mais la vérité c’est que ce sont tout simplement de très bons livres. »
Cinquante mille exemplaires vendus de Karoo, de Steve Tesich, déjà quinze mille du roman de Ken Kesey, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, paru en octobre, un peu moins du Dernier stade de la soif, livre culte de Frederick Exley publié pour la première fois en 1968, et jusque-là jamais traduit en français… L’éditeur accumule de jolis succès et réjouit les amateurs de littérature US.
Le timing est ce qui a souvent fait défaut à ces grands livres méconnus.
Olivier Cohen, patron des éditions de L’Olivier et grand connaisseur des lettres américaines (il publie, entre autres, James Salter, Jeffrey Eugenides, Jonathan Safran Foer ou Richard Ford), apporte ce mois-ci, lui aussi, sa pierre à l’édifice avec Hors-bord, un roman inédit de la journaliste Renata Adler, paru en Amérique en 1976. « La vocation de L’Olivier est de publier des auteurs en activité, explique-t-il. Le cas de Renata Adler est donc une exception : une collaboratrice m’en a parlé suite à la parution d’un de ses textes dans la New York Review of Books. J’ai relu le roman, que j’ai trouvé parfaitement actuel. Il était sans doute trop en avance sur son temps il y a quarante ans. » Le timing est ce qui a souvent fait défaut à ces grands livres méconnus.
Si Cohen impute l’enthousiasme pour ces textes des années 70 à une « nostalgie de l’époque », le contexte éditorial a également joué un rôle : « Jusqu’au milieu des années 80, les éditeurs français ne s’intéressaient que très peu à la littérature étrangère », poursuit-il. Dominique Bordes confirme : « Il y a eu beaucoup de ratés dans les années 60 et 70 : un éditeur pas assez connu, un positionnement absurde, de mauvaises traductions… » De quoi passer à côté de très bons titres.
Perles et trésors
Il suffit donc parfois de se plonger dans le fonds d’une maison pour redécouvrir des perles. Ainsi Maggie Doyle, en charge des droits étrangers chez Robert Laffont qui, au moment de la création de la collection Pavillons Poche, en 2003, est tombée sur deux livres de Richard Yates, publiés en France une première fois dans les années 70 : « Nous avons décidé d’entreprendre la traduction de l’ensemble de son oeuvre. Mais avant Les Noces rebelles, le film de Sam Mendes adapté de La Fenêtre panoramique, personne ne parlait de Yates. Stewart O’Nan avait écrit un très bel article sur lui dans la Boston Review en 1999, mais c’était surtout un ‘writers writer’. Le film a beaucoup aidé ; nous avons vendu trente mille exemplaires de La Fenêtre panoramique, alors que pour les autres titres on tourne autour de sept mille exemplaires. » Pas une manne mais un travail d’éditeur noble et nécessaire.
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