Deux journalistes du Monde consacrent un livre étonnant à Dominique Strauss-Kahn.
En 2007, leur livre sur Ségolène Royal, La Femme fatale, avait créé des remous. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin franchissaient déjà avec une maestria déconcertante la frontière entre politique et vie privée. Elles défendaient notamment la thèse, un peu courte, selon laquelle la présidente de la région Poitou-Charentes avait décidé d’être candidate à la présidentielle pour se venger des infidélités de François Hollande.
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Pour l’été 2012, les deux journalistes du Monde reviennent avec une saga, sobrement intitulée Les Strauss-Kahn. Comme un roman sur une dynastie, un Dallas à Marrakech. La quatrième de couverture proclame fièrement “Une histoire folle, une histoire vraie, un roman politique et social”. C’est conçu, et bien réalisé, pour être un best-seller estival avec un zeste de scandale.
Chute vertigineuse
Bien sûr, le sujet du livre, Dominique Strauss-Kahn, l’a un peu cherché. Il y a un peu plus d’un an, il était l’un des favoris pour la présidentielle, le héros des socialistes. Et puis il y a eu Nafissatou Diallo, le Sofitel, l’humiliation publique (le perp walk), Tristane Banon, le scandale du Carlton de Lille, la fin de toute ambition politique.
Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin remontent le fil de cette chute vertigineuse :
“Pourquoi s’attarder sur un homme à terre puisque, aujourd’hui, c’est un autre qui se trouve à l’Elysée ? En politique, les soubresauts et les angles morts d’un parcours ne se saisissent souvent qu’après coup. Beaucoup n’ont toujours pas compris sur quels malentendus, quels non-dits, quelles dissimulations Dominique Strauss-Kahn a pu s’élever si haut, pour sombrer si vite et si bas. Certains ont cru voir dans sa descente aux enfers le résultat d’un complot, faisant de lui la victime d’une machination politique. Lorsqu’on recolle les morceaux du puzzle, ce qui surprend, c’est plutôt de découvrir les protections dont il a profité.”
« Jouisseur sans destin »
A l’appui de leur récit, les deux journalistes citent des confidences surprenantes. Comme celle de François Mitterrand, qui avait jugé en une phrase sèche le jeune espoir du PS : “C’est un jouisseur sans destin.” Ou encore ces souvenirs d’anciens collaborateurs de DSK à Bercy, pendant les années Jospin, qui se rappellent qu’il était impossible de trouver le ministre à partir de 17 heures et qu’il restait “injoignable jusqu’au dîner”. “Jamais on n’avait vu autant de silhouettes féminines se glisser, par l’ascenseur privé, jusqu’à l’appartement de service.” Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin font la liste – partielle – des conquêtes de DSK, notant que l’écrivaine Yasmina Reza et Carmen Llera, la veuve d’Alberto Moravia, ont toutes deux utilisé le second prénom de l’ancien patron du FMI, Gaston, pour parler de lui dans leurs livres.
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Mais Les Strauss-Kahn, c’est aussi bien sûr les compagnons de DSK, à commencer par son épouse, Anne Sinclair, qui intrigue le lecteur tout au long des pages. N’ignorant apparemment rien de la double ou triple vie de son mari mais frappant de sa foudre tous ceux qui lui conseillent de lâcher prise. Il y a aussi, et surtout, la cellule de l’agence de communication, Euro RSCG, Stéphane Fouks, Gilles Finchelstein, Anne Hommel et Ramzi Khiroun qui protègent leur patron au-delà du raisonnable. Leur méthode est démontrée à la lumière de l’affaire Piroska Nagy, cette économiste du FMI que DSK avait “séduite” en 2008. Coups de fil aux rédactions, communiqué d’Anne Sinclair, reportage sur le couple dans Paris-Match, c’est un véritable filet de protection qui est dressé autour du fautif.
Sarkozy, un double moins suicidaire
Dans ce roman vrai, qui écœure souvent lorsqu’on aborde les aspects les plus intimes de la sexualité du héros, les politiques apparaissent au détour des pages. Il y a Martine Aubry, l’alliée de DSK dans le pacte de Marrakech, dont le mari, Jean-Louis Brochen, s’indigne du luxe ostentatoire dans lequel vivent les Strauss-Kahn au Maroc. Il y a François Hollande, dont la méfiance à l’encontre de DSK est née lors de l’affaire de la Mnef, en 1999, et qui n’ignore rien des rumeurs et des anecdotes sur la “drague” lourde strauss-kahnienne. François Hollande a bâti son personnage de candidat “normal” en opposition à Nicolas Sarkozy, certes, mais aussi pour faire contraste avec DSK à gauche. Un positionnement qui ne doit pas grand-chose au hasard.
Et puis, il y a Nicolas Sarkozy. Présenté comme un double, moins suicidaire, de DSK. Les couples Nicolas-Cécilia et Dominique-Anne sont amis. Ils dînent souvent ensemble dans les années 90 et au début des années 2000. “Plus souvent chez moi”, plaisante Nicolas Sarkozy. Quand il aide DSK à être nommé au FMI, il l’avertit en ces termes : “Dominique, toi et moi, on ne nous aime pas, on est pareils. On est des métèques. On aime le fric et les femmes. Les métèques et le fric aux Etats-Unis, ce n’est pas un problème, mais les femmes, ce n’est pas pareil. Je te préviens : fais attention aux femmes”…
Hélène Fontanaud
Les Strauss-Kahn de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin (Albin Michel), 266 pages, 19,50 €
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