Autour d’une maison de poupée, l’Anglaise Jessie Burton met en scène, dans son premier roman « Miniaturiste », une famille étrange, et toute la société hollandaise du XVIIe siècle. Un premier roman à l’atmosphère gothique, hautement addictif.
Poupons, poupées, petites voitures, pistolets en plastique… Autant de reproductions miniatures et inanimées du réel qui transforment d’emblée les enfants en petits maîtres, voire en tyrans, du micromonde qu’ils se recréent. Les jouets peuvent vite s’investir d’un sentiment d’étrangeté et, de tous, la maison de poupée est peut-être le plus symptomatique de notre besoin, dès l’enfance, de tout contrôler en s’inventant ses propres narrations. Peut-être s’y met-on soi-même en scène, dans l’univers clos de cet artefact d’intimité.
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La bonne idée de l’Anglaise Jessie Burton, 32 ans, est d’avoir placé une maison de poupée (grande et luxueuse) au cœur d’un dispositif romanesque tout aussi clos et asphyxiant, au sein aussi d’une vaste demeure hantée par le passé, des secrets et autres non-dits, dans une mise en abyme vertigineuse. Son premier roman, Miniaturiste, best-seller en Angleterre à sa sortie l’année dernière, met en scène une jeune femme de 18 ans, Petronella Oortman (dite Nella), qui s’installe dans la maison de son nouvel époux, de vingt ans son aîné, sur fond d’Amsterdam ultraprotestant en 1686. Johannes Brandt vit avec sa sœur, Marin, une célibataire qui règne en maître sur la maison, dont la sévérité pèse comme une menace sur Nella. L’autre problème étant son mari lui-même, qui ne la touche pas, ne la rejoint jamais la nuit et lui offrira pour la consoler une magnifique maison de poupée.
Que voit-on quand on voit ?
La jeune fille se met à passer commande de petits meubles à une miniaturiste, qui semble avoir le don de lire dans le futur et le lui racontera à travers les objets qu’elle lui envoie : la réplique de toute la famille et des individus qui gravitent autour d’elle, et qui vont participer à la tragédie qui se trame derrière les portes closes, quand tous les secrets du frère et de la sœur finiront par leur exploser au visage.
Nella ne comprend rien, parfaite candide jetée par l’auteur dans la complexité des âmes. Que voit-on quand on voit ? C’est la question qui court en filigrane dans ce roman à l’atmosphère gothique, où les copies (tableaux, jouets, même parfois sentiments) disent la vérité davantage que la réalité qu’ils dupliquent. Les personnages ne verront rien, la plupart du temps, trop aveuglés par leurs propres idées reçues, mensonges et surtout illusions qu’ils projettent tout autour d’eux.
Homosexualité, grossesse hors mariage, amours clandestines…
Miniaturiste relève d’un habile dosage entre littérature fantastique, réflexion métaphysique et ficelles un brin grossières (twists à chaque fin de chapitre, rebondissements, suspense, phrases parfois un peu faciles, etc.). Mais entre véritable littérature et recette à succès, force est de reconnaître que Miniaturiste se révèle hautement addictif. Homosexualité, grossesse hors mariage, amours clandestines, tels sont les secrets que dissimulent cette grande maison et les pages de ce roman.
Jessie Burton file le thème de l’enfermement à tous les étages de son édifice romanesque : de la maison de poupée à la maison réelle, d’Amsterdam et ses ruelles labyrinthiques à la société du XVIIe siècle, hyperconservatrice, jusqu’à la prison où finira Johannes, et l’eau qui entoure la ville, une échappatoire apparente lancée vers d’autres continents, mais où l’on finit noyé. La vie est un piège, semble nous dire Burton – comment y évoluer sans se heurter à ses murs ? Peut-on, telle Nella jouant avec sa maison de poupée, tout y contrôler ? Croire que nous décidons de nos vies ne serait qu’une illusion – la vie n’étant qu’une narration que nous n’écrivons pas, réduits à n’être que de petites poupées dans une production miniature. Comme le dit l’un des personnages, “ça signifie que nous nous prenons pour des géants, mais que nous n’en sommes pas”. Eternels enfants qui n’en finissent pas de jouer alors qu’ils sont eux-mêmes les jouets d’une force immanente : le destin ? le hasard ? Comme le ressent Nella : “Mon monde se rétrécit, alors qu’il me semble plus encombrant que jamais.”
L’écrivain, à la fois éternel enfant qui joue et dieu
C’est lors d’un voyage à Amsterdam en 2009, en découvrant la véritable maison de poupée d’une dénommée Petronella Oortman au Rijksmuseum, que Jessie Burton a eu l’idée de son roman. Cette ancienne comédienne de théâtre en avait peut-être assez d’être le jouet des metteurs en scène et a préféré la place de romancière. Devenant ainsi à la fois celle qui met en scène des poupées (ses personnages), dans une maison, artefact du réel (le roman), et la miniaturiste (celle qui sait), ainsi que celle qui contrôle (l’écrivain).
Tout écrivain serait peut-être à la fois l’éternel enfant qui joue et ce dieu, mort ou vif, qui écrit nos vies par-dessus notre épaule. Et le roman, métaphore de la maison de poupée (et vice versa), seul lieu de contrôle possible – ou plutôt, seul lieu où la magie et la liberté ne sont pas inquiétantes, et peuvent s’exercer hors du contrôle des autres.
Miniaturiste (Gallimard), traduit de l’anglais par Dominique Letellier, 500 pages, 22,90 €
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