Au cours de trois voyages dans son pays natal, l’écrivaine syrienne exilée en France Samar Yazbek a recueilli des témoignages de ses compatriotes, pris en étau entre un pouvoir qui bombarde sa population et les jihadistes de Daech. Un document essentiel.
Dans une autre vie, Samar Yazbek habitait à Damas et écrivait des romans. Mais en 2011, année des printemps arabes, cette militante des droits de l’homme a connu la prison pour avoir manifesté contre le régime de Bachar al-Assad, puis a dû s’exiler à Paris.
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De cette expérience, elle a tiré un texte, Feux croisés (Buchet Chastel, 2012). On apprend aujourd’hui qu’elle y est pourtant retournée, en Syrie, et trois fois : en août 2012, en février puis en juillet 2013. Clandestinement, pour continuer la lutte.
Durant ces voyages, elle a cherché à rencontrer toutes sortes de gens, des activistes politiques, des combattants, des habitants de petites communautés rurales. Elle a récolté et retranscrit leurs récits, dans l’urgence. Ils sont aujourd’hui au cœur de son livre.
La cause des femmes
Le travail réalisé par la romancière est proche de celui d’un reporter. Elle décrit sans détour les bombardements systématiques, la frontière turque traversée en tous sens par les passeurs et les trafiquants, les situations dangereuses dans lesquelles elle se retrouve.
Son livre est toutefois différent et plus riche que le travail d’un correspondant de guerre, parce qu’elle prend le temps de nous décrire les paysages éternels qu’elle a sous les yeux, collines et vallons plantés d’oliviers, et parce qu’elle ne tait rien de ses émotions, son amitié pour une petite fille ou une vieille dame, ses moments de découragement ou de panique.
Mais Samar Yazbek est avant tout une militante qui va en Syrie avec des projets pour aider des femmes. Alors qu’elle partage des repas dans l’intimité des familles, ses hôtes lui confient combien de proches ils ont perdus et dans quelles conditions, et ce que signifie tenter de survivre sous les bombes à fragmentation.
Ce livre n’est pourtant pas un simple collage de témoignages terrifiants. Samar Yazbek tient à nous montrer quelque chose. Au fil des voyages et des conversations, elle voit la Syrie se transformer et le conflit évoluer. Alors que le lecteur avance dans le récit, passant d’août 2012 à l’hiver puis l’été 2013, il mesure la place que prennent dans le pays les troupes de l’Etat islamique.
La loi des jihadistes
Peu à peu, raconte Samar Yazbek, les militants de l’ASL (l’armée syrienne libre), qui combattaient comme ils le pouvaient Bachar al-Assad, ont été débordés par des groupes islamistes très bien équipés. Elle découvre que des villages entiers ne survivent que grâce au ravitaillement organisé par les jihadistes, qui imposent leur loi. Ses interlocuteurs, souvent furieux contre ceux qu’ils considèrent comme des mercenaires étrangers, doivent pourtant se résigner à leur présence.
La conclusion de Samar Yazbek : l’idée d’instaurer un Etat islamique ne correspond pas à la culture de son pays. Tout a commencé parce que des Syriens ont réclamé plus de liberté d’expression. Depuis, Bachar al-Assad bombarde sans répit une population qui ne peut que s’enfuir si elle ne veut pas mourir sur place. Et la romancière ne cache pas sa colère contre la communauté internationale : “Le monde se contente de regarder”.
Les Portes du néant (Stock), traduit de l’arabe (Syrie) par Rania Samara, préface de Christophe Boltanski, 306 pages, 20,99 €
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