A partir de la vie de différents personnages gravitant autour d’un hôpital de province, Frédérique Clémençon raconte ce que personne ne voit.
Certains auteurs se distinguent par l’inventivité dont ils font preuve dans la construction de leurs textes. D’autres sont de grands sociologues, capables dans leurs romans de proposer leur analyse affûtée des changements de nos sociétés.
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D’autres enfin sont des écrivains de l’intime, qui savent avec délicatesse creuser les sentiments de leurs personnages, révéler d’obscurs tourments de l’âme humaine dans lesquels nous nous reconnaissons. Et puis il y a ceux, très rares, qui sont tout cela à la fois.
Une ronde littéraire virtuose
Frédérique Clémençon en fait partie. Son dernier livre, d’une ingénieuse construction, est une photographie de la classe moyenne française en province et un très beau texte sur le désespoir et le regret, car Clémençon ausculte les vies de ses personnages et sait déceler l’indicible, la tragédie dans le quotidien, le grand amour dans un simple regard. En s’autorisant, en plus, à nous ménager quelques surprises.
Les Méduses est constitué d’une collection de courts textes où défilent des personnages se révélant être tous connectés les uns aux autres, jusqu’à former une ronde, et le roman finit par se boucler selon une composition parfaite. Il y a Hélène, jeune veuve qui élève seule son petit garçon ; Olivier, l’ambulancier taiseux ; Delphine, qui ne peut oublier Samir ; et des collégiens qui construisent un monde parallèle à celui des adultes, avec ses lois et ses secrets.
Comme dans une série télévisée, un personnage anodin dans un chapitre peut être mis au premier plan dans le suivant. Il ne s’agit pas seulement d’un effet de style. Chez Clémençon, toute vie a son importance, et la grande qualité de ce livre est de révéler la richesse de chaque existence, les drames enfouis, les amours perdues et enfances brisées, et le courage qu’il faut à certains pour continuer.
Il y a ici, chez l’autrice, une grande empathie avec ses personnages, dont les voix sonnent toujours juste.
Derrière des décors banals, l’étrange et l’angoissant se terrent
Le roman se déroule dans une petite agglomération de l’ouest de la France, et l’hôpital en est le centre. Il va être souvent question de vie et de mort, et ce lieu périphérique où personne n’aime se rendre va servir de base pour un voyage dans une sorte d’envers de notre société, sans tomber pour autant dans le pathos.
Mieux que personne, au détour d’une phrase, elle sait noter les parkings désertés, le pont du chemin de fer, le bric-à-brac d’objets abandonnés sur le trottoir, l’emplacement d’un immeuble rasé. Il n’est pas question de réalisme mais de transformation de lieux marginaux en espace littéraire. Et derrière ce décor banal, l’étrange et l’angoissant se terrent, telles les méduses qui inexplicablement envahissent l’océan.
Clémençon a entamé son discret chemin littéraire, il y a plus de vingt ans, avec Une saleté, publié alors chez Minuit. Elle ne peut que forcer l’admiration par la cohérence de son parcours et sa capacité à travailler la fiction comme une matière nouvelle.
Les Méduses (Flammarion), 192 p., 18 €, sortie le 15 janvier
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