De Simon Liberati à Christine Angot, en passant par Lionel Duroy et Marcela Iacub, de plus en plus de romanciers sont poursuivis en justice pour atteinte à la vie privée et diffamation. Une pratique plus que regrettable.
Après avoir été déboutée en justice le 7 août (“L’écrivain Simon Liberati gagne en justice face à sa belle-mère”, Libération du 7 août 2015), Irina Ionesco fait appel. La partie s’était jouée au milieu de l’été, comme en catimini, à trois semaines de la sortie du roman de Simon Liberati, Eva, prévue le 19 août. Irina Ionesco, défendue par maître Emmanuel Pierrat, demandait la suppression de sept passages la concernant au prétexte d’atteinte à la vie privée.
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Déjà imprimé à quinze mille exemplaires, le livre se trouvait déjà en voie de distribution vers les librairies, et si la demande avait été acceptée en justice, elle aurait non seulement condamné ces exemplaires au pilon, retardé la sortie du texte, mais aussi mis à mal le texte lui-même en érodant la liberté d’expression de Simon Liberati quant à son sujet, Eva Ionesco.
Une situation pour le moins ironique : Irina Ionesco n’a jamais hésité à bafouer la vie privée et intime de sa fille en la photographiant dès l’âge de 4 ans dans des positions érotiques, et en diffusant ses photos. L’autre ironie, c’est d’avoir été représentée par maître Emmanuel Pierrat, lui-même écrivain, éditeur, qui a publié un livre sur les ouvrages censurés et s’est toujours montré pour la liberté d’expression, sous toutes ses formes, même les plus sulfureuses.
Les procès, un symptôme contemporain ?
L’attaque d’ouvrages littéraires par des personnes s’y reconnaissant – parfois sous les traits d’un personnage – semble être devenue un symptôme depuis quelque temps. Maître Pierrat, en plaidant le 3 août, s’appuyait entre autres sur le cas des Petits, le roman de Christine Angot.
Attaquée par Elise Bidoit, qui s’était reconnue sous les traits d’un personnage nommée Héléne, Angot avait perdu. Bidoit était défendue par maître William Bourdon, autre défenseur de la liberté d’expression, qui représentait au même moment, autre ironie, Lionel Duroy, poursuivi en justice par son fils pour son roman Colères en 2013.
Ces cas portent atteinte à la subjectivité du romancier et sont dès lors plus que regrettables. Ils ont un autre point commun : les plaignants sont défendus par des avocats connus, prenant part au débat public à grand renfort de tribunes, souvent consultés par les médias. Chacun a su médiatiser ces affaires contre les romanciers en question.
Ce fut particulièrement le cas d’une certaine “Madame X” se reconnaissant dans le roman d’Eric Reinhardt, L’Amour et les Forêts, représentée par une avocate bien connue, Isabelle Wekstein. On pourrait presque avoir l’impression que ces avocats acceptent ces affaires car elles seront médiatiques et leur assureront une certaine publicité.
Un risque d’autocensure
L’autre immense ironie, c’est de voir les plaignants poursuivre non seulement parce qu’ils se reconnaîtraient dans un personnage qui ne porte par leur nom, mais aussi parce que les romanciers auraient menti sur leurs vies. Sans jamais comprendre que si le personnage n’est pas exactement eux, c’est peut-être parce que cela ne relève pas du “faux”, mais de la fiction. Un personnage peut être inspiré d’une ou de plusieurs personnes réelles, mais l’écrivain s’y projette toujours lui aussi, façonne un personnage à l’aune de sa propre psyché.
Car un personnage n’existe pas hors du langage de l’auteur. Récemment, Marcela Iacub avait également perdu face à DSK qui poursuivait son roman Belle et Bête. L’immense problème, c’est que ces cas finiront par faire jurisprudence. Ce fut d’ailleurs l’un des axes sur lequel maître Pierrat aura essayé de s’appuyer contre le roman de Simon Liberati. Espérons qu’à l’avenir ils ne distilleront pas une forme d’autocensure dans la tête des romanciers eux-mêmes.
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