Autour de la disparition inexpliquée d’un homme apparemment sans histoire, la journaliste Marie-Ève Lacasse signe un roman très politique.
Il y a quelque chose d’admirablement bien pensé, dans le nouveau livre de Marie-Ève Lacasse. Une construction narrative vertigineuse qui dévoile par couches successives les ressorts de l’intrigue. Laquelle s’avère bien plus complexe que prévu. Trois femmes prennent la parole à tour de rôle dans ce livre. Claire, Hélène et Joan sont amies depuis leurs années d’études, vingt ans plus tôt. Elles s’expriment face à un commissaire, que l’on n’entend pas. Il les a convoquées toutes trois pour qu’elles lui parlent de Thomas, le mari de Claire et père de ses enfants, soudainement parti sans laisser d’adresse il y a deux ans. Question : pourquoi Claire n’a-t-elle jamais signalé sa disparition à la police ?
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L’autrice de Peggy dans les phares (Flammarion 2017) brise les conventions romanesques et construit un texte où passé et présent sont dévoilés dans le désordre, par de menus indices disséminés dans le flux de paroles des trois femmes. On est dans une dystopie, un monde proche du notre mais ravagé par le changement climatique (la nourriture est rationnée, les gens fuient les villes). On entrevoit par éclats le passé militant radical des amies, on apprend qu’elles appartiennent aujourd’hui à une mystérieuse organisation, sorte de camp zadiste exclusivement féminin. Au centre du livre, Claire, prof revenue sur les terres de l’enfance pour cultiver la vigne.
Un très bon roman noir
Le sujet est bien connu de la romancière, journaliste à Libération et autrice d’un podcast sur la vie des femmes dans le monde viticole. En arrière-plan, l’observation fine des mécanismes d’insurrection collective dont chacune de ces femmes a fait l’expérience. Par ces existences qui se dévoilent page à page, Lacasse propose une analyse très politique, et féministe, d’une société où les individus sont départagés entre possédant·es et possédé·es, et décortique les rouages des systèmes de domination entre classes sociales et dans les relations de couple. Et par la construction astucieuse de son texte, porté par l’intrigante disparition de Thomas, elle crée une tension narrative digne des meilleurs romans noirs.
Les Manquants, de Marie-Ève Lacasse (Seuil), 256 pages, 19 €. En librairie.
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