Les destins croisés de trois générations d’immigrés mexicains à Los Angeles. Premier roman de Brando Skyhorse, entre fierté communautariste, racisme et intégration.
Brando Skyhorse a grandi à Echo Park, quartier latino de L. A. que l’explosion de l’immobilier va démanteler à partir des années 80. A l’école, sa classe est alors divisée entre Mexicains et Vietnamiens, vissés à cette guerre silencieuse des barrières ethniques et de la ségrégation. C’est l’époque du clip Borderline de Madonna, enfant chérie de MTV :
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« Une partie du clip avait été filmée dans le quartier et à cause de son scénario (break dance par des Mexicains, fiancé latino, copines habillées en tenue rétro de chola, perfecto), je croyais Madonna mexicaine. »
D’un clip érigé en symbole d’intégration, l’ex-gringo aujourd’hui éditeur à New York a tiré le principe de son premier roman, remarquable plongée dans la communauté mexicaine de L. A. : comment une société peut-elle intégrer une minorité après l’avoir littéralement traitée en esclave ? La première phrase du livre, émanant d’un vieux clandestin usé par les chantiers de la cité des Anges, rappelle que la question est même plus coriace : « Nous sommes entrés dans ce pays comme des voleurs, sur cette terre qui fut la nôtre. »
Sur cette pseudo-terre promise, donc, Hector se verra renvoyé à la frontière pour ne pas avoir voulu couvrir le meurtre commis par son boss, un Blanc. Ailleurs, on suit les pas de son ex-girlfriend, femme de ménage dans une luxueuse villa d’Hollywood, ou encore ceux de leur fille, Aurora, « cool kid » fan de Gwen Stefani.
En terme de pur folklore, Les Madones d’Echo Park n’a rien à envier aux films de Larry Clark ou d’autres cinéastes ayant amoureusement fixé cette chatoyante communauté sur grand écran : les scènes rivalisent d’intensité atmosphérique, de la rue où mères et filles se retrouvent pour danser sur un ghetto-blaster plein pot et attifées comme Madonna, à East Edgeware Road, un quartier « boursouflé d’entrepôts déglingués et de cabanes en tôle » où des gangs se tirent dessus en plein jour.
Les Madones d’Echo Park, en bon roman choral, va s’articuler autour d’un instant clé : une fusillade entre deux bandes ennemies, et la mort d’une petite fille victime d’une balle perdue. Brando Skyhorse fait de cette figure martyre le dernier point de repère d’une minorité qui, en retour de la violence sociale qui lui est faite, ne réagit plus que par des comportements extrêmes : il en va ainsi d’un membre de gang repenti comme d’une grand-mère voyant des apparitions de la Vierge sur Sunset Boulevard.
De la figure biblique à la pop-star, l’auteur mesure le modelage de la mythologie américaine sur trois générations de Mexicains (« MTV était devenue notre langage commun ») mais également l’influence de leur communauté sur ce mythe. Au centre de ce parcours : une figure de sacrifiée. Eminemment symbolique, mais aussi vibrant de sensualité et de vie, un des portraits les plus vifs et entiers qu’on ait lus ou vus sur la communauté latino-américaine.
Emily Barnett
Les Madones d’Echo Park (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adèle Carasso, 306 pages, 22 euros
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