Pour Noël, nos chroniqueurs vous confient la liste des livres qu’ils offriront aux membres de leur entourage… Avec l’envie de transmettre une expérience et de partager leurs coups de foudre de l’année.
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Le choix de Nelly Kaprièlian
Et si au lieu d’offrir une frivolité ou un objet trop impersonnel (la rituelle boîte de marrons glacées), on offrait pour Noël un livre ? Ça peut être moins cher que des chocolats, et c’est une façon tellement plus intime de dire quelque chose à quelqu’un, de partager son univers avec lui, de lui transmettre une histoire, un savoir, et aussi, pourquoi pas ?, quelques conseils pour la vie qui l’attend. C’est pourquoi, c’est surtout aux plus jeunes, à ceux qui entrent dans la vie, que je pense en écrivant ceci.
A un ado : j’ai envie d’offrir, par exemple, les deux Pléiade de Franz Kafka, Œuvres complètes I et II, sortis en octobre. Même si je me rappelle d’une amie qui, quand on avait 16 ans, se plaignait que son vieil oncle, prof de philo, lui offre toujours “quelques Pléiade” à Noël plutôt que de lui donner leur équivalent en billets. Pourquoi Kafka ? Parce qu’à un âge où l’on commence à découvrir le monde des adultes en dehors de la protection de ses parents, à un âge surtout où l’on est si sensible malgré un masque d’assurance et où l’on prend tout tellement personnellement, ce serait une façon de leur prouver que le monde regorge de situations absurdes, que la vie est “kafkaïenne” en général et qu’il va falloir garder son sang-froid pour l’affronter.
A un vingtenaire : la réédition en poche de Demande à la poussière de John Fante, parce que c’est le roman qui m’a rendue accro à la littérature américaine au même âge, et la nouvelle parution de Captive de Margaret Atwood, récit adapté en série télé, basé sur un vrai fait divers : Grace Marks est-elle celle qui a commis, en 1873, un double crime atroce ou bien une victime de la société, comme nombre de femmes ? Aux garçons et filles, j’offrirais aussi Ces hommes qui m’expliquent la vie de Rebecca Solnit : une collection d’essais féministes dont le premier, assez hilarant, a fondé le mot américain de mansplaining, cette façon qu’ont certains hommes d’expliquer aux femmes ce qu’elles savent déjà comme si elles étaient idiotes par essence. Important pour clore cette première année post-MeToo.
Aux plus vieux : Le Lambeau de Philippe Lançon, magnifique livre d’un survivant et récit d’une reconstruction de soi, et pour ne pas oublier que certains ont payé notre liberté de leur sang. Et aussi le Nicole Krauss de la rentrée, Forêt obscure, le David Diop, Frère d’âme, Arcadie d’Emmanuelle Bayamack-Tam ou La Robe blanche de Nathalie Léger, ou encore Le Guetteur de Christophe Boltanski, parce qu’il faut vivre avec son temps, lire et offrir la production contemporaine, et que ces textes sont parmi les meilleurs de la rentrée 2018.
– Œuvres complètes I, II de Franz Kafka (La Pléiade), traduit de l’allemand (Autriche) par Isabelle Kalinowski, Jean-Pierre Lefebvre, Bernard Lortholary et Stéphane Pesnel, 2 496 p., 115 €
– Demande à la poussière de John Fante (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Garnier, 240 p., 8,50 €
– Captive de Margaret Atwood (10/18), traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch, 624 p., 10 €
– Ces hommes qui m’expliquent la vie de Rebecca Solnit (L’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 176 p., 16 €
– Le Lambeau de Philippe Lançon (Gallimard), 512 p., 21 €
– Forêt obscure de Nicole Krauss (L’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Paule Guivarch, 288 p., 23 €
– Frère d’âme de David Diop (Seuil), 176 p., 17 €
– Arcadie d’Emmanuelle Bayamack-Tam (P.O.L), 448 p., 19 €
– La Robe blanche de Nathalie Léger (P.O.L), 144 p., 16 €
– Le Guetteur de Christophe Boltanski (Stock), 288 p., 19 €
Le choix de Léonard Billot
En France, près de 68 000 nouveaux livres sont publiés chaque année. Et tant mieux ! C’est le signe d’une vitalité éditoriale réjouissante. Mais quand il s’agit de choisir ceux qu’il faudra glisser sous le sapin le 24, ça se complique. Alors pour éviter le Goncourt de circonstance, l’Amélie Nothomb millésimé ou le dernier Astérix, on n’hésite pas à fouiller chez les petits éditeurs indépendants, on opte pour le rétro chic, on ose l’illustré.
A mon petit frère : Tuff de Paul Beatty. Une satire hilarante de l’Amérique contemporaine, dans lequel l’auteur imagine la campagne électorale d’un ex-gangsta d’East Harlem, reconverti en candidat municipal, dont le programme assure qu’il est “ambigu sur les drogues, les armes et l’alcool” et promet de lutter “contre les chats dans les supermercados.” Après tout, au pays de Trump, tout est envisageable.
A ma copine : le beau livre Annie Leibovitz : The Early Years, 1970-1983. Loin des shootings aux mises en scène grandioses qui ont fait sa gloire, l’ouvrage retrace les débuts de l’artiste, lorsqu’elle braquait son objectif sur Apollo 17 au décollage, Nixon qui démissionne ou les Rolling Stones en tournée. Noir et blanc et rock’n’roll !
A ma mère : Du vent, du sable et des étoiles d’Antoine de Saint-Exupéry, à qui Gallimard consacre un Quarto illustré. Près de 1 680 pages qui rassemblent toute l’œuvre de l’écrivain-aviateur : les romans, dont Le Petit Prince évidemment, les lettres, les écrits de jeunesse, mais aussi un corpus inédit de poèmes et de textes en prose, daté des années 1920, qui dévoile l’intimité de l’auteur, amoureux de sa fiancée Loulou. Chic !
A ma grand-mère Lucette : Les Photos d’Anny d’Anny Duperey, où l’actrice commente une centaine de clichés qu’elle a réalisés elle-même et où l’on croise Marie Laforêt, Isabelle Adjani ou Bernard Giraudeau. Mamie les adore !
– Tuff de Paul Beatty (Cambourakis), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, 349 p., 24 €
– Annie Leibovitz : The Early Years, 1970-1983 d’Annie Leibovitz, Luc Sante, Jann S. Wenner (Taschen), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Bosser, 180 p., 40 €
– Du vent, du sable et des étoiles d’Antoine de Saint-Exupéry (Gallimard), 1679 p., 32 €
– Les Photos d’Anny d’Anny Duperey (Seuil), 192 p., 19 €
Le choix de Yann Perreau
A mon père : La Société ingouvernable de Grégoire Chamayou. Auteur du remarquable Théorie du drone, l’un des essais les plus importants de ces dernières années, le philosophe démonte ici les mécanismes autoritaires et liberticides intrinsèques au libéralisme. Contrairement aux idées reçues, le néolibéralisme n’est pas animé d’une “phobie d’Etat” unilatérale. Il suppose au contraire une verticalisation du pouvoir : un “Etat fort” pour une “économie libre”. L’essai revient sur l’histoire des idées qui a vu cette idéologie s’affirmer comme dominante, les entreprises faire leur loi et la démocratie se concevoir en termes de management. Indispensable pour comprendre le néolibéralisme contemporain, dans sa forme autoritaire à la Trump ou verticale à la Macron.
A ma sœur : Mauvais joueurs et Sud et Ouest de Joan Didion. Deux livres qui rappellent l’importance de cette auteure, longtemps reléguée au second plan en France parce qu’elle pratique davantage la narrative nonfiction que le roman. En quatre-vingt-quatre courts chapitres, Mauvais joueurs dresse le portrait poignant d’une jeune femme qui part à vau-l’eau sur fond de faux rêve hollywoodien. Sud et Ouest, deux carnets inédits conservés par l’écrivaine depuis les années 1970, révèlent l’Amérique de ces années-là, du Mississippi à la Californie.
A mon frère : Vernon Subutex de Virginie Despentes. Cette trilogie majeure a su, mieux qu’aucune autre œuvre de fiction, saisir la société française d’aujourd’hui, plaçant ainsi l’auteure en digne héritière de Zola et Stendhal.
– La Société ingouvernable de Grégoire Chamayou (La Fabrique), 336 p., 20 €
– Mauvais joueurs de Joan Didion (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Rosenthal, 224 p., 19 €
– Sud et Ouest de Joan Didion (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Malfoy, 160 p., 15 €
– Vernon Subutex de Virginie Despentes (Le Livre de Poche), coffret trois tomes, 432 p., 23,70 €
Le choix de Sylvie Tanette
A ma mère ou à ma belle-mère : La Haine de la famille de Catherine Cusset. Parce que le titre parle de lui-même. Catherine Cusset s’inspire de sa propre famille pour décrire ce que signifie grandir dans la grande bourgeoisie parisienne. Elle excelle à épingler les tics et lubies du couple parental et surtout de la mère, rigide. Et propose une analyse fine des relations familiales toxiques.
A un ado : Les Yeux secs d’Arnaud Cathrine. Parce que ce texte relève de la science-fiction autant que du conte de Grimm. Le premier roman de Cathrine met en scène deux ados au cœur d’une ville dévastée par la guerre civile. La mort guette, les miliciens rôdent, une situation extrême où l’auteur explore des thématiques que l’on retrouvera dans ses romans ultérieurs : la fidélité et la liberté.
A l’amour de ma vie : Le Professeur et la Sirène de G. T. di Lampedusa. Parce que la nouvelle qui donne son titre au recueil est unique. Un jeune homme, passant l’été seul dans une cabane de pêcheur loin de tout en Sicile, a la chance de s’unir charnellement avec une sirène. Le texte, nimbé d’un érotisme heureux, est un magnifique hommage à la Méditerranée éternelle, la mer des dieux et des légendes.
A une ado : La Femme rompue de Simone de Beauvoir. Parce que toutes les filles doivent le lire avant d’entamer leur vie d’adulte. Une femme examine son passé. Elle s’est entièrement dévouée à ses enfants et à son mari, qui la quitte. Sacrifiée sur l’autel du mariage bourgeois, elle a été la victime consentante du système en ignorant, par conformisme, les autres choix qui s’offraient à elle.
A mon meilleur copain : Chaos calme de Sandro Veronesi. Parce que le narrateur est inoubliable. Il s’assoit sur un banc et n’en bouge plus. On vient se confier à lui car dans ce monde de fous où tout va trop vite, il est le seul à avoir su s’arrêter. L’auteur fait défiler toutes sortes de personnages confrontés à mille difficultés, et construit une brillante fresque de notre société contemporaine.
A ma meilleure copine : Tropismes de Nathalie Sarraute. Parce que ce livre est le plus incroyable du XXe siècle. Ni roman ni recueil de nouvelles, cette série de textes brefs saisit de minuscules fragments de vie. Sarraute déniche, sous la banalité des situations, la perfidie des relations sociales. Tropismes, texte emblématique du Nouveau Roman, est une révolution à lui tout seul.
– La Haine de la famille de Catherine Cusset (Folio), 352 p., 7,25 €
– Les Yeux secs d’Arnaud Cathrine (GF Flammarion), 123 p., 3,60 €
– Le Professeur et la Sirène de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, (Points), traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, 216 p., 6,50
– La Femme rompue de Simone de Beauvoir (Folio), 256 p., 7,25 €
– Chaos calme de Sandro Veronesi (Le Livre de Poche), traduit de l’italien par Dominique Vittoz, 535 p., 7,60 €
Le choix de Gérard Lefort
A ma chérie darling : Une chambre à soi de Virginia Woolf. Il paraît que mes ronflements l’indisposent.
A mon fiancé my love : A la colonie pénitentiaire de Franz Kafka. Il semblerait que lorsque je ne ronfle pas, c’est pire, je souffle comme un cachalot aux abois.
A mes enfants adorés : Les Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault. Comme ça, ils sauront pourquoi ils me réveillent à pas d’heure en hurlant de terreur.
A mes délicieux voisins du dessus : Le Sexe pour les nuls. Pour qu’ils investissent enfin dans une literie silencieuse.
A mes charmants voisins du dessous : Lorsque l’enfant paraît de Françoise Dolto. Même si je ne me souviens plus s’il y est conseillé de bâillonner les bébés passée une certaine heure.
A mon meilleur ennemi qui ne dit jamais bonjour quand on se croise dans l’escalier : L’Interprétation du rêve de Sigmund Freud. Eh oui, camarade du sixième droite, le monstre gluant qui, chaque nuit, menace tes intimités avec son grand ciseau, c’est bel et bien ta jolie maman.
A mon pire ami qui dit toujours “bonne journée” et “y a pas de soucis” quand nous faisons ascenseur commun : Les Ames mortes de Nicolas Gogol. En espérant que Tchitchikov, le héros du roman, frappe au plus vite à sa porte.
A tous les merveilleux habitants de l’immeuble : La Vie mode d’emploi de Georges Perec.
– Une chambre à soi de Virginia Woolf (10/18), ed. spéciale, traduit de l’anglais par Clara Malraux, 176 p., 7,50 €
– A la colonie pénitentiaire (précédé du Verdict) de Franz Kafka (Folio), traduit de l’allemand par Claude David, 82 p., 2 €
– Les Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault (Librio), 192 p., 2 €
– Le Sexe pour les nulsde Ruth K. Westheimer, Pierre A. Lehu, Marianne Pauti (First), 384 p., 12,50 €
– Lorsque l’enfant paraît de Françoise Dolto (Points), trois tomes, 624 p., 7,80 € chaque
– L’Interprétation du rêve de Sigmund Freud (Points), traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre, 704 p., 13,50 €
– Les Ames mortes de Nicolas Gogol (Folio), traduit du russe par Henri Mongault, 512 p., 7,80 €
– La Vie mode d’emploi de Georges Perec (Le Livre de Poche), 640 p., 8,90 €
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