Aimer pour toujours un fils qui n’est pas le sien : avec Le Roman de Jim, Pierric Bailly dévoile avec finesse la complexité des émotions où nous entraîne la vie.
La première fois qu’Aymeric parle de Florence à son meilleur ami, c’est l’incompréhension : “Qu’elle ait quinze ans de plus que moi, ça il s’en foutait, mais qu’elle soit enceinte, il n’en revenait pas. Mec, t’as couché avec une femme enceinte. Ça t’a pas gêné qu’elle soit enceinte ? Je veux dire, le ventre, ça t’a pas gêné ?”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Voilà ce qu’observe Pierric Bailly : les hasards qui mènent un individu vers un destin ou un autre et les difficultés, ensuite, pour en parler. Alors les silences s’installent mais la vie continue tout de même, vaille que vaille. Né dans le Jura, où il réside toujours quand il n’est pas à Lyon, ce jeune auteur sait révéler toute la complexité d’un monde semi-rural qu’il connaît bien. Et depuis son premier roman en 2008, Polichinelle, Pierric Bailly séduit avant tout par sa capacité à jouer avec les genres littéraires et les registres de langue.
C’est dans un roman d’amour qu’il explore aujourd’hui le sentiment compliqué de la paternité
Après un récit consacré à son père décédé, L’Homme des bois (2017), puis un texte à la limite du fantastique dans lequel un homme ne savait plus s’il avait des enfants ou non, Les Enfants des autres (2020), c’est dans un roman d’amour qu’il explore aujourd’hui le sentiment compliqué de la paternité. Parce que, après l’accouchement de Florence, Aymeric (qui a 25 ans) va aimer le petit Jim comme s’il était le sien. “J’étais définitivement fou de ce môme […], l’idée qu’il lui arrive le moindre petit malheur m’était insupportable.”
Sauf que Jim a un père biologique. Dès lors, les vies des deux hommes, de Florence et de Jim vont se construire hors de la représentation classique d’une famille traditionnelle. Une situation à la fois banale et atypique, proche de la propre enfance de l’auteur.
>> A lire aussi : Alain Damasio : “La réflexion politique n’est pas réservée aux adultes”
Echapper aux assignations
Pierric Bailly a ingénieusement échafaudé son texte. Il dévoile les événements au compte-gouttes et comme par inadvertance, avec un sens aigu de l’ellipse temporelle. Aymeric a arrêté ses études, fait un peu de prison, préfère travailler en intérim malgré la précarité. Il ne s’explique pas pourquoi il tombe amoureux de Florence, une quadra au look de rockeuse, enceinte de six mois. Aymeric n’est ni un héros ni un antihéros, mais un personnage intéressant par son désir d’indépendance, sa volonté d’échapper aux assignations.
Il n’y a jamais de clichés dans ce portrait d’homme à la limite de la marginalité
L’auteur sait montrer le déterminisme social sans verser dans le misérabilisme, et il n’y a jamais de clichés dans ce portrait d’homme à la limite de la marginalité. De même, Bailly a su restituer une oralité en évitant la facilité d’expressions toutes faites. Il signe ainsi un beau texte subtil, construit au rythme d’un protagoniste qui découvre la paternité à son insu.
Il y a un an, le romancier signait dans le numéro spécial des Inrocks “Comment ça va la France”, un texte où il dénonçait le manque de représentation du prolétariat rural. Un peu comme Laurent Mauvignier cet automne avec son Histoires de la nuit (Les Editions de Minuit), il montre dans ce roman la diversité et la richesse humaine d’un milieu resté longtemps sans existence littéraire, tout simplement en mettant en scène des individualités, et non une masse anonyme.
Le Roman de Jim (P.O.L), 256 p., 19 €
{"type":"Banniere-Basse"}