Dans son premier livre, la journaliste fait le récit sobre et fort de l’histoire de ses grands-parents juifs et roumains victimes d’un innommable trafic humain pendant la dictature de Ceaușescu. Un texte salutaire, qui lève le voile sur des fantômes monstrueux.
La recherche de ses racines semble une activité prospère qui fait le lit de moult généalogistes plus ou moins farfelus. Elle s’apparente à deux mouvements antagonistes. L’un, rance et raciste, vise à se proclamer franco-français de souche pour se distinguer des “envahisseurs”. L’autre, plus romanesque, consiste à savoir d’où l’on vient pour comprendre où on est et, surtout, où on va et avec qui. Les exportés, récit de la journaliste Sonia Devillers (France Inter, Arte) appartient évidemment à cette seconde catégorie.
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Un beau matin, ou peut-être au cœur d’une nuit de cauchemar, elle s’est posée une question ahurissante de simplicité : pourquoi et comment ses grands-parents, Harry et Gabriela Greenberg, roumains, communistes et juifs, ont débarqué le 19 décembre 1961 sur un quai de la gare de l’Est à Paris. Des vacanciers ? En quelque sorte, à condition de donner au mot “vacance” son sens premier de “vide”. Oui, ils sont vidés et lessivés, les grands-parents Greenberg. Ils ne sont pas des voyageurs ordinaires, ni des déportés comme les millions de Juifs exterminés par les nazis. Ils sont des exportés, transformés en produits d’échange par la dictature roumaine et en particulier celle de Ceaușescu. “Tout est question de prix, écrit Sonia Devillers. Les Juifs en ont un. On les échangera donc contre des cochons.” On tremble d’avoir lu cette information peu connue, on la relit pour être sûr. Des Juifs contre des cochons, mais aussi des taureaux, des vaches, des moutons. Une traite massive d’êtres humains organisée par le ministère roumain de l’Intérieur et un intermédiaire britannique pour le moins douteux.
Des Juifs contre des cochons
Comme les grands-parents et leur fille, la mère de Sonia, n’ont jamais été très loquaces à propos de leur passé, habitués “à en dire peu sans dire”, la jeune femme s’est plongée dans bien des archives et des livres d’histoire, dont l’enseignement l’effraie autant qu’il la sidère, notamment quand elle relate que les jeunes Cioran, Ionesco et Mircea Eliade, furent des fervents admirateurs du fascisme roumain et du nazisme, et, conséquemment, des antisémites féroces. C’est écrit avec une sobriété bien venue, sans aucune sorte de chantage au scoop ou au vécu victimaire. “Je ne raconte pas cette histoire d’un point de vue de journaliste, ni d’historienne, et ne prétends pas faire une enquête, ni un document d’histoire”, dit-elle. Et de préciser, rebelle à toute assignation identitaire : “Ça ne m’a jamais intéressée d’être Juive.” Ce qui n’est pas la moindre des élégances de ce récit utile, salutaire – pour son auteur sans doute, pour nous assurément.
Les Exportés, 274 p., 19 euros, Flammarion.
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