Dans une enquête documentée, “Flash Boys”, le célèbre journaliste américain Michael Lewis révèle la nouvelle domination du trading haute fréquence sur les marchés financiers. Un travail impressionnant qui prolonge “The Big Short”, récemment adapté au cinéma.
Beaucoup d’observateurs des marchés financiers redoutent aujourd’hui l’arrivée d’un nouveau krach. A toutes les raisons, politiques, économiques, géopolitiques, techniques, qui conditionnent son avènement probable, s’ajoute la transformation perverse du fonctionnement des marchés financiers depuis une dizaine d’années.
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C’est cette transformation radicale qu’a documentée le célèbre journaliste américain Michael Lewis dans une enquête ébouriffante, Flash Boys, sorti en 2014 aux Etats-Unis (dont un documentaire d’Ali Baddou s’était récemment inspiré sur Canal +). Reporter à Vanity Fair, déjà auteur de plusieurs enquêtes sur les marchés, dont celle adaptée au cinéma par Adam McKay, The Big Short, Michael Lewis, 55 ans, a été défini comme “probablement le meilleure journaliste américain” par Tom Wolfe en personne, considéré comme le pape du « nouveau journalisme”.
Bref, Lewis est une star et son livre Flash Boys témoigne en effet de son sens aigu de l’observation, de l’enquête et du récit, en dépit de l’aridité de son sujet. Une aridité qui tient à l’absence d’un décorum à la mesure de la mythologie du trading, et à la complexité de saisir le travail invisible de ses “boys”.
Une diabolique machine
Devenu depuis sa sortie aux Etats-Unis un best-seller, Flash Boys révèle précisément comment les marchés financiers ont inventé le “trading haute-fréquence” (THF), c’est-à-dire une sorte de diabolique machine qui accélère le temps du commerce et rend fous les prédateurs cupides qui s’y livrent dans une forme d’ivresse incontrôlée.
Michael Lewis souligne d’emblée l’impossibilité que nous avons à nous représenter, à défaut de le comprendre, ce déplacement dans le temps et dans l’espace de la technique du trading. Les tradeurs des années 90 ont disparu au profit de fantômes volant dans les nuages de l’abstraction immatérielle de l’argent. “Au cours de la dernière décennie, les marchés financiers ont évolué trop rapidement pour que la représentation mentale que nous nous faisons d’eux demeure exacte”, écrit Lewis.
“L’image que la plupart des gens ont de ces marchés est encore celle d’un décor qu’un photographe aurait pu capturer. Sur ce cliché, un rouleau de téléscripteur défile au bas d’une sorte d’écran de télévision et des personnages de sexe masculin vêtus de gilets répondant à un code couleur se tiennent debout dans des salles de trading en hurlant les uns sur les autres. Cette image est obsolète. Ce monde n’existe plus”.
Ce qui a pris la place de la chair et de la sueur des traders dans leurs salles de marchés, ce sont des algorithmes. Froids, désincarnés, mais puissants dans leur capacité réactive. Des algorithmes grâce auxquels les traders sont désormais capables de réaliser 7 000 transactions en moins d’une seconde ! Avec les progrès des ondes électromagnétiques, les données bancaires peuvent circuler à la vitesse de la lumière : les jeux d’achats et les ventes de titres sont ainsi pris dans une course effrénée, dont l’emballement n’est plus l’exception mais la règle.
La crainte du « flash crack”
Ces ordinateurs commandent déjà plus de 70 % des opérations boursières aux Etats-Unis. Evidemment, ces algorithmes échappent souvent à leurs concepteurs eux-mêmes, comme le démontre implacablement le “flash krach”, quand un robot s’emballe et explose (ce fut le cas en mai 2010, où pendant quelques minutes, Wall Street s’est retrouvé en arrêt technique).
Au fil de son enquête, indexée à la rencontre de ces nouveaux loups de Wall Street (parfois repentis comme Brad Katsuyama), qui officient souvent loin de New York, dans des immeubles ultra-sécurisés du New Jersey ou de Chicago, Michael Lewis dévoile la furie de cette scène financière qui a l’allure d’un chaos annoncé.
Le portrait que l’auteur fait de ces égarés du “turbo-capitalisme” contemporain n’est que le constat étayé de ce qui nous dépasse, de la manière dont nous avons échoué collectivement à résister à la furie des marchés financiers. Les “flash boys” décrits par Lewis sont les sinistres “escort boys” d’un ultra-capitalisme incontrôlable.
Michael Lewis, Flash Boys, au cœur du trading haute fréquence (Editions du sous-sol, 320 p, 22 €)
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