Pour dire la violence faite aux réfugiés, Nathalie Quintane imagine avec “Les enfants vont bien” un dispositif littéraire efficace et émouvant qui confronte la parole politique aux mots de ceux qui travaillent dans l’accueil des migrants.
Quand une poétesse s’empare d’un sujet, on peut supposer qu’elle va le traiter dans la radicalité, en travaillant sur l’essentiel, à savoir le langage, le mot lui-même. C’est ce que fait ici Nathalie Quintane, utilisant un procédé littéraire d’une grande limpidité et, par son épure même, chargé d’une rare intensité émotionnelle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une phrase par page
Elle nous parle des CAO, ces centres d’accueil et d’orientation créés sur tout le territoire après le démantèlement de ce que l’on a appelé la “jungle” de Calais.
Elle connaît la réalité de ces centres conçus pour accueillir les demandeurs d’asile – sujet qu’elle a abordé l’an dernier dans Un œil en moins, qui retraçait son année 2016 et l’explosion du mouvement Nuit debout. Dans ce nouveau livre, elle aligne page après page différents discours à propos des réfugiés.
Chaque phrase, selon qu’elle émane d’une autorité politique, d’un média national, d’un texte de loi ou d’un bénévole, est retranscrite dans une police de caractères particulière et bénéficie d’une place spécifique, à raison d’une phrase par page.
Tout en haut, écrasante, cette parole politique, survolant à différents étages les textes de loi ou les discours médiatiques. Tout en bas, en tout petit, les mots de ceux qui sont au plus près des migrants et qui se débrouillent comme ils le peuvent.
Des discours qui se superposent sans jamais se rencontrer
L’effet est saisissant et visuellement c’est une réussite. Il y a quelque chose d’angoissant et de profondément désespérant dans ces discours qui se superposent sans jamais se rencontrer. Mais ce livre n’est pas seulement une réinterprétation de l’art du calligramme.
Page après page le dispositif se charge de sens, et Quintane signe ici un texte très politique. La parole des autorités, les textes officiels et le discours médiatique semblent déconnectés du réel, en roue libre.
Les demandes ou les remarques de ceux qui sont au contact des migrants, et qui devraient être primordiales, arrivent après toutes les autres, inaudibles. Surtout, au fil de la lecture, on voit à quel point la parole des dirigeants se durcit inexorablement, selon une logique purement interne.
Repenser la place de l’écrivain
Cette démarche politique, l’autrice la revendique dans une préface où elle s’explique sur le dispositif littéraire mis en place et sur sa volonté de “rendre compte de la violence faite, en France, à ces hommes, ces femmes et ces enfants : le sort qui leur est fait est fabriqué, puis justifié et légitimé par un ensemble de paroles et de textes en renouvellement permanent, issus aussi bien des institutions de la République que d’instances et de concitoyens qui croient bien faire”.
Son choix de constituer un montage à partir de mots entendus rappelle le beau livre de Violaine Schwartz, Papiers, publié également chez P.O.L, qui récoltait la parole de demandeurs d’asile. Ces deux femmes, par leur engagement et surtout par leur inventivité formelle, bousculent le monde littéraire et permettent de repenser la place de l’écrivain dans la société.
Les enfants vont bien de Nathalie Quintane (éd. P.O.L), 240 p., 18 €
{"type":"Banniere-Basse"}